

 Losers - Tomes 1, 2 & 3
Losers - Tomes 1, 2 & 3Biographie de la naissance du magazine 
Manga Action, à la fin des années 1960, 
Losers est aussi et surtout un hommage à son rédacteur en chef, Fumito « Bunjin » Shimizu, qui a su capter les tendances de l'époque pour séduire un public nouveau et inédit : les jeunes adultes, dit la génération « seinen ».
1965, au Japon. À cette époque, le manga est encore considéré comme un loisir pour enfants. Au sein d’une petite maison d’édition, Futabasha, installée à l’étage d’anciens bains publics, se trouve la rédaction du magazine 
Manga Story. Composée de 4 membres, elle s’attelle à proposer des bandes dessinées satiriques et humoristiques d’une page, destinées aux adultes, avec beaucoup (trop) d’articles de remplissage. Un travail qui n’a rien à voir avec les mangas dessinés par 
Osamu Tezuka ou 
Shotaro Ishinomori, destinés à la jeunesse.
Futabasha se trouve d’ailleurs tout en bas de l’échelle de l’édition et son patron est un homme d’affaires qui n’a que faire de ce qu’il publie, du moment que cela rapporte. Ceux qui y travaillent ont échoué à se faire embaucher ailleurs et y ont atterri par défaut. Dénués d’ambition, le titre 
Losers, c’est-à-dire les perdants, illustre leur statut : personne ne s’attend à ce qu’ils fassent un réel travail d’éditeur. 
Fumito Shimizu, dit Bunjin, rédacteur en chef de 
Manga Story, passionné de littérature russe, qui rêvait de devenir romancier, a fini comme les autres à Futabasha après avoir échoué partout ailleurs. À la base, il n’a aucun intérêt pour les mangas, mais il ne peut se résoudre à abandonner toute ambition.
Bunjin rumine ces pensées tous les jours, et les soirs, lorsqu’il boit avec des collègues d’autres revues, jusqu’à ce qu’il trouve dans la poubelle de leur bureau un fanzine qu’un de ses rédacteurs a rejeté. Il est subjugué par le dessin de la couverture : il n’a jamais rien vu de tel. Son auteur est 
Kazuhiko Katô, un jeune homme qui sera connu plus tard sous le pseudonyme de Monkey Punch et créera 
Lupin III. C’est le début de cette légende qui aboutira à la création du magazine 
Manga Action, le premier à destination des jeunes adultes, dont Monkey Punch deviendra le pilier fondateur. Bunjin inventera ainsi le 
seinen manga, là où le 
Gekiga (né vers 1957) se pensait comme un mouvement alternatif, plus expérimental et subversif. [1]
Le récit nous plonge dans cette époque de transition, marquée par les Beatles, la Guerre du Viêtnam et les contestations étudiantes. Bunjin et les futurs membres de 
Manga Action y sont brossés comme une bande de joyeux drilles qui n’ont rien à perdre et souhaitent trouver un sens à leur travail. Ils proposent des projets audacieux, un numéro spécial puis la « folie » 
Manga Action, avec à chaque fois une condition simple de leur patron : si ça se plante, ils sont virés. Mais Bunjin n’a pas arrêté d’observer cette jeunesse que les adultes ne comprennent pas et il sait qu’elle est prête pour des mangas d’un nouveau genre, sans limite, qui font écho aux tendances du moment, qu’elles soient cinématographiques, musicales, visuelles ou sociétales.
Évidemment, il y a aussi les auteurs. Deux d’entre eux sont des personnages principaux de cette biographie : Monkey Punch et 
Baron Yoshimoto. Tous les deux sont également des losers : le premier a envoyé le fanzine de son groupe à tous les éditeurs du pays et le second s’est présenté à chacun d’eux. Et seul Bunjin, de l’obscur Futabasha, a vu en eux leur potentiel et les a immédiatement publiés. D’abord sous forme d’histoires satiriques dans 
Manga Story, puis comme piliers fondateurs de 
Manga Action avec 
Lupin III et 
Jukyôden (
La Légende du Judo). [2]
Publié entre 2017 et 2019, en trois tomes, pour célébrer les 50 ans de 
Manga Action, 
Kôji Yoshimoto signe un manga 
rétro-patrimonial aussi divertissant que passionnant. Avec sa patte graphique si caractéristique, le mangaka fait revivre de belle façon cette époque et ces figures légendaires, le tout avec un humour communicatif et une bonne dose de tendresse. Un morceau d’histoire et une lecture incontournable pour tous les passionnés de manga, dont les qualités n’ont pas échappé à l’ACBD qui l’a sélectionné pour le Prix Asie de cette année.
[1] De facto, le 
Gekiga deviendra en quelque sorte une sous-catégorie du 
seinen, 
Manga Action publiant aussi des auteurs et des œuvres 
Gekiga.
[2] Parmi les autres auteurs qui ont forgé l’âge d’or du magazine, nous pouvons citer :
– 
Shotaro Ishinomori, avec 
009-1 (1967–1970),
– 
Kazuo Koike et 
Goseki Kojima, avec 
Lone Wolf and Cub (1970–1976),
– 
Katsuhiro Otomo, avec 
Short Peace (1976–1977).