Pour moi, c'est clair et net à ce stade de la compétition, tous mes espoirs et mon vote se tournent vers
[align=justify]Ce qui est chouette avec Buffy, en dehors du fait que c'est une chouette série bien sûr, c'est qu'elle fait partie de ces rares programmes qu'il n'est nullement besoin de s'emmerder à présenter : à moins d'avoir vécu retiré au cœur du Tibet ces douze dernières années, vous avez fatalement entendu parler au moins une fois de Buffy Summers, cette charmante lycéenne passant ses nuits à casser du vampire et ses journées à essayer de survivre dans le monde impitoyable du lycée (puis de la fac, puis de la vie active).
Le revers de la médaille c'est qu'à partir du moment où tout le monde a entendu parler de quelque chose, tout le monde a déjà un avis à ce sujet, ne serait-ce
qu'a priori.
Parce qu'elle a été diffusée sur M6 dans feu la trilogie du samedi... parce qu'elle a été littéralement saccagée par la V.F... parce qu'elle a été mal comprise et encore plus mal expliquée... parce qu'elle a fait autant de couvertures de Star Club que Beverly Hills ... pour toutes ces raisons et d'autres encore qu'on ne pourrait énumérer faute de place, Buffy reste considérée en France comme un truc un peu honteux - cette série pour ado un peu gnagnante dans laquelle une jolie blonde dégomme des vampires un peu ridicules. Partout ailleurs Buffy est considérée comme une série de première plan (elle est régulièrement citée parmi les meilleures de tous les temps, ce qui est rare pour un programme des années quatre-vingt-dix) et d'une richesse incroyable... mais en France non, le pays a tellement de retard en la matière qu'on en est encore à trouver que Buffy c'est mièvre et un peu débile. Ne fût-ce si pathétique, on en rirait presque.
Car s'il y a bien une chose que
Buffy n'est pas ... c'est
débile (mièvre non plus, vous me direz, il suffit de voir le superbe - et brutal et dur et déchirant - épisode "The Body" pour s'en convaincre). C'est au contraire
une série d'une finesse et d'une intelligence rares, d'une qualité assez prodigieuse lorsqu'on la revoie avec le recul... bref tout le contraire des clichés et autres préjugés.
Mieux encore :
elle a marqué un tournant considérable dans l'histoire des séries : il suffit de voir le nombre de show-runners qui lui vouent un culte quasi religieux pour s'en convaincre. Parce que son succès bascula très vite dans le phénomène de société, ses auteurs se sont retrouvés avec la carte blanche dont beaucoup de scénaristes rêvent, ont pu tout se permettre... et ne se sont rien refusés. Sur toute une génération de sériephages qui constituent aujourd'hui les fleurons de la télévision US
(1), la liberté de ton et l'audace de cette série ont eu un effet libérateur il est vrai insoupçonnable pour quiconque ne connaît pas un peu l'histoire de ces programmes (j'entends par-là : ce qui se faisait avant et ce qui s'est fait après). Il y a évidemment les héritiers directs, tous ces teen-dramas mettant en scène des jeunes gens aux prises avec 1/ le surnaturel 2/ la découverte des responsabilités, les Dark Angel, Roswell, Smallville... qui pour la plupart n'apportent pas grand-chose au schmilblick mais qui ont bercé des générations entières et ont pour elles le mérite de ne jamais être aussi racoleuses que les Beverly Hills et compagnie. Mais il y a aussi tous les autres, ceux qui furent durablement perturbés par la manière dont Joss Whedon et ses camarades faisaient voler en éclat les codes traditionnels et des séries et du fantastique, rendaient au principe du conte de fées toute sa portée allégorique, s'autorisaient des épisodes décalés assez ahurissant... ce sans jamais perdre de vue l'essentiel, cette manière de croquer le passage à l'âge adulte à la fois très banale (c'est un sujet éculé, déjà en 1997) et merveilleusement intelligente (Buffy n'est jamais pathos et brille au contraire par la délicatesse avec laquelle les sujets adolescents sont évoqués).
Ces deux aspects de la série en constituent l'artère principale et sont soudés l'un à l'autre par l'utilisation constante du second degré. Plus pastiche que parodie, la série passe rapidement du
stade de divertissement efficace à celui d'ovni télévisuel (cela se fait en fait au fur et à mesure que croît le succès et que Whedon peut imposer ses vues à la production) et dès la saison deux elle trouve un ton et un style qui n'appartiennent qu'à elle, multipliant les dialogues absurdes et s'amusant à renverser les valeurs traditionnelles à tout bout de champ. Deux épisodes sont très représentatifs de cela : dans
"Halloween" (2x06), un sortilège transforme chacun en ce en quoi il est déguisé (Willow devient un fantôme, Buffy une lady du XIXe... etc.) ; dans
"Band Candy" (3x06), un autre sortilège (d'ailleurs lancé par le même petit salopard) donne à tous les adultes de la ville un âge mental d'approximativement seize ans, forçant ainsi les véritables ados à prendre leurs responsabilités (et jouant par ailleurs une partition subtile, le monde sans adultes dont ils rêvent depuis toujours s'avérant finalement assez terrifiant). Ces deux épisodes ubuesques et chaotiques soulignent assez bien le goût des auteurs pour la transgression, mélangeant peurs enfantines, désirs adolescents et hantises parentales dans un même grand shaker aboutissant à une série ne ressemblant à aucune autre.
Il y aurait beaucoup d'autres épisodes à évoquer et nombre de thèmes à considérer. Par exemple le féminisme subtil d'une série où les mecs sont ... des
bêtes (vampires, loups-garou ... militaires) et où les faibles femmes que la société cherche sans cesse à protéger d'elles-mêmes (et donc - soyons clairs : de leur désir) s'avèrent être
les sauveuses du monde ; la part d'ombre inhérente à chacun des personnages, peut-être les plus complexes qu'on ait jamais vus à la télévision et sans cesses en lutte conte leurs pulsions ; le rejet vigoureux de l'autorité dans son incarnation administrative (les profs ont toujours de lourds secrets, le principal est corrompu jusqu'à la moelle, le maire est un démon et la seule figure autoritaire rassurante représente une administration occulte
(2))... Mais autant laisser la surprise à ceux qui ne les auraient jamais vus.
Aussi étonnant que cela puisse sembler aux proto-snobs engoncés dans leurs petits préjugés, Buffy est sans aucun doute l'une des séries les plus écrites, construites et soignées de son époque. On parle beaucoup d'esthétique ... en matière de littérature et de musique, car en matière de séries les programmes à développer une véritable esthétique sont rarissimes. Buffy (tout comme son spin-off Angel, quoique la sienne soit différente) est de celles-là. Entre cartoons et comics, séries Z et contes de fée,
son esthétique est tout à fait singulière et n'a réellement rien à envier à celles de séries sérieuses (ou du moins appréciées par des gens très sérieux)
comme les Soprano.
Je vous renvoie au très bon article de
Fashion si vous souhaitez faire plus ample connaissance[/align]
(1) Bryan Fuller déclara un jour que sans Buffy il n'aurait jamais réalisé Dead Like Me, J.J. Abrams est tellement fan qu'il a réquisitionné les scénaristes David Fury et Drew Goddard pour Lost (et s'en est évidemment inspiré pour Alias), quant à Alan Ball après une distance compréhensible il multiplie désormais les clins d'œil dans son True Blood...
(2) Remarque pas tout à fait exacte, d'ailleurs, puisque Giles se désolidarise somme toute assez vite de cette administration occulte - et pour cause : l'administration, dans Buffy, symbolise encore et toujours la société voulant aspirer les personnages dans son moule... il est d'ailleurs amusant de noter que dans le comic Buffy Season 8, cette dernière finit fort logiquement par prendre la tête de sa propre administration ...
il y a moins d'un mois et je mettais promis de le ressortir, car je trouvais assez bien écrit et peut être cela permettrait d'enlever (ou de diminuer) un peu certains préjugés de certains membres à propos de cette série ^__~