... remet en cause la première, qu’elle ne débarrasse pas de sa pureté et complète parfaitement. Car, si l’aspect brut, violent et horrible de Ryô vous a été mis en exergue depuis le début du Grand Tournoi, il est à noter que cela ne correspond qu’à, somme toute, la moitié du personnage. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Ryô Narushima possède un aspect touchant de sa personnalité. L’antihéros d’Akio Tanaka ne serait qu’excellent, si cette seconde face n’existait pas.
____Face B : Moonlight Drive
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_Ou comment le Mal parvient parfois à nous émouvoir.
Partons d’un constat simple : l’auteur parvient à rendre le tueur sympathique à nos yeux. Prodige incroyable, quand on prend en compte tous les crimes qu’il a commis. Comment cet incroyable sentiment nous anime-il alors ? Bien simple : on suit le parcours de Ryô à ses côtés, on subit ses défaites, ses victoires, ses envies, ses moments de gloire et de déchéance simultanément. Un lecteur lambda, à la vue de ce personnage fier qui est obligé de passer par la prostitution parfois, ne peut qu’être choqué lors de certains épisodes. Non plus choqué par l’horreur qui se dégage du
Shamo, mais bel et bien par le pathétique qu’il dégage : la vie de Ryô ne semble être que désolation absolue depuis ses seize ans. Cela suffit-il à expliquer le sentiment de sympathie à son égard ? Pas totalement.
Pour comprendre, il est nécessaire de revenir sur ce qu’on sait du protagoniste qui nous intéresse aujourd’hui. On le découvre à ses seize ans, en plein été, lorsque le manga s’ouvre sur une scène de parricide atroce. Ryô a tué ses parents. Pourquoi ? Comment un jeune garçon, élève d’un lycée renommé, destiné à une université prestigieuse, promis à une vie sans problème, a pu commettre un tel acte ? Pour le moment, la question reste en suspend. On peut se douter que l’auteur a voulu mettre en scène la révolte d’une jeunesse sur laquelle on a placé trop d’espoirs. Ou simplement le tueur résidait-il en Ryô. Or, tout part de ce tragique épisode. La progression de Ryô, son parcours, sa vie à venir, sont déterminés par cet acte fondateur. Ainsi, il va être placé en maison de correction pendant deux ans, où il subira des brimades incessantes, des sévices moraux et physiques, allant jusqu’au viol. En effet, ses camarades de détention l’explicitent clairement : quelqu’un qui a osé tuer ses parents les dégoûtent, purement et simplement. Ce à quoi ils réagissent par la violence animale et instinctive, par pulsions. Suite à quoi, Ryô doit réagir, c’est pourquoi il se met au karaté, que lui enseigne un professeur qui deviendra plus tard son entraîneur. A force de persévérance, il devient un véritable athlète, et parvient à survivre pendant le reste de son séjour. Pour autant, dès sa sortie de prison, il ne lui reste plus rien : sa famille et ses proches l’ont renié, sa sœur l’a abandonné et a préféré s’en sortir seule. Non seulement, par le biais du parricide, Ryô a apporté une ombre sur toute sa famille, mais la société entière le hait aussi pour ce qu’il a fait : tous se souviennent de lui, comme celui qui assassina ses parents, un beau jour d'été. Il ne lui reste qu’à survivre dans un monde qui lui est, désormais, totalement hostile.
A partir de ce moment, on assiste dans le manga à un fait surprenant : la même société qui ne cherche qu’à se venger de celui qui a défrayé la chronique, va le manipuler. Si vous ne vous êtes jamais interrogé sur le titre "
Coq de combat", il prend ici tout son sens : la vérité qui illumine le manga dans son ensemble est que le parcours de Ryô est d’hors-et-déjà choisi, tracé, borné. De la sorte, son affrontement final contre Sugawara au Tokyo Dome ne passe que pour une mise en scène. Et c’est ce qu’elle est, pour les organisateurs ! Qu’importe si les deux combattants se blessent, qu’importe qui remporte l’estocade finale : le but est purement lucratif. Ryô a été privé d’un tel combat pendant longtemps, pour augmenter sa férocité. Ryô se démène dans une arène, en espérant battre et survivre. Tel un coq de combat. La vision du monde selon le personnage se limite aux coins du ring, il ne se rend absolument pas compte du piège dans lequel les organisateurs l’ont imbriqué, avec l’appui des médias, car il se concentre uniquement sur son adversaire.
Le talent de l’auteur réside ici : il nous place aux côtés de son personnage principal. On rentre en empathie avec lui, on tente de le comprendre, de percer cette carapace d’inhumanité, on accuse la destinée. On se trompe de chemin, on ne perçoit pas aisément que la destinée se trouve contrôlée. Car le but premier de
Coq de combat est de décrire un embrigadement d’un homme par la société. Cela prend effet dès la jeunesse : Ryô est un gaucher contrarié. Le détail semble ridicule, une société ne cherche pas à éradiquer les gauchers de la surface du Monde. Néanmoins, le retour à ce qu'il devrait être normalement pendant le combat face à Sugawara, c'est-à-dire en ayant une main gauche prédominante, permet au
Shamo de parvenir à l'égalité, et donc à la survie.
La question qui doit être posée à la lecture de cette œuvre : ne sommes-nous pas le produit de ce qu’on fait de nous ? Notre vie n’est-elle pas prévue par conditionnement ? En mettant en scène un personnage qui répond partiellement à ces questions, le lecteur ayant pris conscience de cette profondeur, le mangaka nous rend Ryô plus sympathique : on a carrément pitié de lui. On le voit se débattre dans un piège trop grand, dans un chemin tracé duquel il ne sortira pas. Simplement : l'antihéros par excellence a beau être une pourriture ultime, la narration, son parcours et la portée du manga, le rendent appréciable, touchant, émouvant.
Que dire d’autre après ces quelques explications ? Rien. Et tant encore. Car le personnage transcende intrinsèquement ce qui vient d’être dit, par son aura et par le ressenti de chacun. Simplement : sachez que vous avez en Ryô Narushima une référence en la matière, une création incroyable, qui rivalise aisément avec les meilleurs personnages du manga. Votez pour l’antihéros ultime ! Votez Ryô Narushima ! Car, n’oubliez pas…
Ryô Narushima poutre les chaussettes à votre grand-mère !