« Datura est une planète tellurique qui fait partie du système solaire de Bellaxie, dont font également partie Crocus et Fléole, deux planètes dont la masse est quasiment Datura se démarque cependant de ces deux planètes par le développement végétal et organique qu’elle a connu, grâce à ses multiples chlorisandres, dont la biodiversité a… Non, je vais nulle part. »
Dans une salle de classe, Judd est assis face à une copie, stylo en main, puis il finit par rayer ce qu’il avait commencé à écrire, énoncé précédemment, et on peut voir une mention en haut de sa copie, une problématique, “Quels facteurs sont à l’origine de la biodiversité de notre planète ?”. Une main posée sur son stylo et sa feuille et l’autre soutenant son menton, il se détourne de son devoir pour regarder par la fenêtre, soupirant.
« Ma copie est à l’image de ma vie… C’est un néant. »
L’horloge nous indique que le temps passe, et Judd se lève finalement pour rendre sa copie, quittant ensuite la salle.
« J’ai toujours eu du mal avec le concept d’existence. Après tout, on vit pour mourir, alors à quoi ça sert ? Quelle importance peuvent avoir les échecs ou les réussites d’un homme alors que la fin est la même pour tout le monde, peu importe notre parcours ? Alors j’ai décide de ne rien faire, je suis indifférent à tant de choses, passif face aux événements. Il n’y a pas grand chose que j’aime, mais pas non plus grand chose que je déteste. En fait, la seule chose qui me fait réagir, c’est une crainte que je ressens, j’ai peur d’être oublié. Je ne veux pas être un grain de sable dans l’Histoire, je veux marquer mon époque... Je veux qu’on se souvienne de moi dans plusieurs siècles. Je ne veux pas être banal, mais j’ai peur de l’être, et pire encore, de le rester. Le problème, c’est que l’idée même de la mort, l’idée même de savoir que la vie est éphémère est absurde, au point que je ne peux pas m’enlever de la tête l’idée qu’agir ne sert à rien, que déplacer des montagnes est inutile. Je n’ai sans doute pas le courage ou l’état d’esprit nécessaire pour graver mon nom dans le marbre, donc je subis le passage du temps et la routine que j’arrive de moins en moins à supporter. Disons que… Je n’aime pas ma vie, mais je tiens quand même à la vie. Alors je vis, et j’attends. »
Quelques jours passent, et on suit Judd dans son quotidien, alors que chaque journée se ressemble et ne varie que peu par rapport à la précédente, jusqu’au jour attendu où les résultats de ses examens sont disponibles. Judd, arrivé dans son lycée, se fraye un passage parmi ses camarades bruyants qui sont arrivés avant lui pour découvrir leurs résultats. Le visage fermé, il finit finalement par arriver au tableau d’affichage, et il cherche son nom.
« Mais comment il va faire s’il n’a pas réussi ses examens ?
- Aujourd’hui, c’est devenu très compliqué de trouver du travail sans ce diplôme !
- C’est surtout pour qu’il fasse de grandes études que ça m’inquiète : sans, il ne peut rien faire.
- Mais il lui reste encore le rattrapage, tout est encore possible, hein Judd ? »
La mère de Judd et d’autres aînés de la famille discutent autour de la table du salon. Judd est perdu dans ses pensées et toujours indifférent à ceux qui se trouvent autour de lui.
« C’est drôle de voir à quel point un bout de papier peut changer toute votre existence. En tout cas c’est ce qu’ils croient, et leurs réactions sont toujours si prévisibles : parfois je passe pour un glandeur, et d’autres fois pour un incapable… Dans tous les cas, on s’accorde à dire que c’est terrible que je n’ai pas réussi mes examens, surtout avec le niveau requis aujourd’hui pour avoir mon diplôme. Le problème, c’est que même s’il est donné, moi j’en veux pas. Ça ne m’intéresse pas, et même si je sais pas encore comment, je vais réussir à exister en dehors de ces règles étriquées. Parce que je refuse de m’enfoncer dans la routine comme n’importe qui. »
Quelques jours plus tard, Judd, accompagné de son meilleur ami Isaac, rentre chez lui.
« Franchement, on s’en fout que t’aies pas eu cet examen, ce diplôme sert plus à rien de toute façon ! dit Isaac, convaincu.
- C’est facile pour toi de dire ça alors que tu l’as réussi avec mention, rétorque Judd, blasé.
- A t’entendre on dirait que t’as aussi essayé de l’avoir alors qu’on sait tous les deux que t’as consciemment rien foutu, répond Isaac en grimaçant.
- Le problème c’est pas que j’ai essayé de l’avoir ou pas, c’est surtout qu’on va me gonfler pendant encore très longtemps parce que j’ai échoué, lance Judd, sèchement, impatienté.
- Ouais mais ça t’y peux rien, c’est générationnel, ils peuvent pas comprendre, répond Isaac après avoir marqué une courte pause pour réfléchir à ce qu’il pouvait répondre à son ami. »
Après avoir passé le portail de l’entrée, Judd et Isaac se retrouvent finalement face à la porte. Suivi d’Isaac, Judd rentre à l’intérieur en regardant vers le sol, et il est surpris d’entendre un “Bon anniversaire” en chorale, hurlé par une quinzaine d’invités. Judd esquisse un sourire forcé, parce qu’il est surpris et ne sait pas comment réagir. Alors qu’Isaac l’enlace de son bras droit, le secouant un peu pour le faire réagir, plusieurs invités s’approchent de lui.
« Bon anniversaire mon Judd ! s’exclame Olga en sautant au cou de Judd, bousculant Isaac par la même occasion.
- Enfin la majorité, on va fêter ça en grandes pompes alors j’espère que t’es en forme ! lui lance Ghazi, levant la bouteille qu’il a en main, tout en s’approchant de lui.
- Tu vas voir qu’on se fait vite à la majorité, en fait c’est juste déstabilisant au début… dit Pumon, en s’avançant d’un pas tranquille vers Judd, déjà un verre à la main. »
D’autres invités s’approchent de Judd, mais il ne fait plus attention à ce qu’ils lui disent, de nouveau perdu dans ses pensées.
« Une fête surprise… La surprise, c’est le sentiment que j’ai réellement ressenti en découvrant tout ça dans ma maison, je l’ai pas simulé. Mais c’est tout, depuis cet instant, je simule ma joie, je simule mon plaisir d’être ici, parce que j’ai l’impression que tout ça est un prétexte. Mon anniversaire est un prétexte pour faire la fête chez moi. C’est une soirée normale, tout le monde boit, fume, ils baiseraient si l’envie leur prenait… Mais je suis même pas sûr d’apprécier la moitié des gens qui ont été invitées. »
Plus tard, la fête bat son plein dans le jardin derrière la maison. Il y a plusieurs groupes répartis dans différents coins du jardin, alors que Judd est seul, près des boissons, un verre à la main, et Isaac vient le rejoindre.
« Ça va, tu profites de la soirée ? demande Isaac à Judd, rempli d’énergie.
- Ah, ouais c’est cool. C’était une bonne idée cette soirée, merci, répond Judd en hésitant. »
Isaac marque un temps d’arrêt et son expression change, il arrête de sourire et grimace.
« Tu sais très bien que tu peux pas me mentir, commence Isaac. Même si c’est pas la soirée de tes rêves, essaye quand même de t’amuser, bientôt on aura plus l’occasion de faire de soirées comme ça. »
A la fin de sa phrase, Isaac retrouve le sourire puis tape sur l’épaule droite de Judd, pour lui signifier qu’il va faire un tour, voir ce que font les autres. Il se dirige vers Alister et Isidore, qui reviennent d’un recoin, de l’avant du jardin, et qui discutent.
« Bah alors les gars, vous faites une contre-soirée ? lance Isaac en souriant, marchant vers eux.
- On était en train de pisser, répond naturellement Isidore, alors qu’Alister est un peu gêné par sa franchise indélicate.
- Ah mais c’est parce que vous buvez de la bière aussi, ça descend vite ! s’exclame Isaac en voyant leurs bouteilles respectives, entamées.
- Ouais, et si ça continue, on va pouvoir s’occuper de l’arrosage de tout le jardin en une nuit, lance Alister en souriant.
- Haha, c’est ça ! répond Isaac en riant.
- Bon, je vais voir ce que font les autres, dit Alister en commençant à bouger.
- Ça marche, répond Isidore, alors qu’Isaac finit de rire. »
Isaac et Isidore commencent à discuter, alors qu’Alister s’éloigne, croisant sur son chemin Ghazi et Shire qui discutent, et il s’arrête en les voyant fumer dans un coin, puis les rejoint en souriant.
« Tiens, Ghazi, est-ce que t’aurais pas une latte à me dépanner à tout hasard ? dit-il avec un grand sourire, forcé exprès pour appuyer le fait qu’il arrive comme une fleur.
- Avoue que tu l’as senti de l’autre bout du jardin, lui lance Shire en souriant.
- J’y peux rien, j’ai du nez pour sentir les bonnes choses, répond Alister en se tapotant le nez du bout de l’index.
- Moi j’ai assez fumé, donc je bouge, reprend Shire, en commençant à se retourner.
- Tu veux dire que tu vas voir si l’herbe est plus verte ailleurs ? dit Alister après avoir tiré une latte. »
Shire ne répond rien, déjà reparti, soufflant simplement du nez, alors que derrière lui, Ghazi et Alister explosent de rire, à cause de la blague d’Alister, puis Shire arrive finalement au niveau de filles qui discutent, Pandore, Jessy, Kelly et Kimka.
« Ça va les filles, je vous dérange pas ? Vous étiez pas en train de parler de moi j’espère ? dit Shire en souriant, taquin.
- Enfin Shire, tu sais très bien qu’on parle toujours de toi, dit Pandore en le fixant avec un léger sourire en coin, alors que les autres filles ricanent.
- On se demandait à quand remonte la dernière fois qu’on a vu Margaret dans cet état, reprend Kelly en finissant de ricaner.
- Non, en fait on se demandait surtout si elle pouvait être encore plus bourrée que ça, précise Jessy en ricanant.
- D’ailleurs je vais lui apporter un verre bien chargé, je sens qu’on va se marrer, finit Kimka, un sourire narquois sur les lèvres. »
Alors que les autres filles rigolent en la voyant partir son verre à la main, Shire sourit simplement. Kimka s’arrête finalement devant Margaret, surexcitée, qui buvait une bière à la bouteille.
« Hey, ça va Maggie ? demande Kimka à Margaret, le même sourire narquois sur le visage.
- J’ai enfin eu ma putain de mention, mes parents vont arrêter de me gonfler avec ça ! hurle Margaret à son interlocuteur, sans s’être vraiment préoccupée de la question d’origine.
- Ah ouais, c’est cool… dit Kimka en regardant derrière elle, guettant le regard de ses amies. Tiens, j’ai un verre pour toi, goûte, c’est bon ! reprend-elle en tendant le verre à Margaret. »
Margaret saisit le verre en vitesse et commence à boire dedans. Elle s’écrie un “Woooouh” les bras levés, renversant un peu du liquide dans l’action, commençant à reprendre sa marche endiablée de personne alcoolisée sous les yeux de Kimka, qui rit en la voyant partir. Elle s’approche alors de Pumon et Timba, qui ont l’air assez sérieux, concentrés dans une discussion, verre à la main, et les interrompt.
« Hey les gars, j’ai la putain de mention ! Woooooouh ! hurle Margaret aux deux hommes, qui s’arrêtent à peine dans leur discussion pour la regarder, puis reprennent de plus belle alors qu’elle repart, cherchant d’autres personnes à qui annoncer sa joie.
- ...Mais sérieux, tu crois pas que t’as assez de tatouages ? Je veux dire, pour le moment c’est suffisant, non ? reprend Timba, l’air interloqué, observant les tatouages de son ami.
- Tu peux parler, t’as vu le nombre de piercings que t’as ? répond Pumon en examinant son ami de haut en bas.
- Arrête, tu sais bien que c’est pas pareil, moi je peux me les faire enlever alors que toi ça reste à vie ! explique Timba en faisant de grands gestes.
- On croirait entendre mon père… rétorque Pumon, les yeux vers le ciel, agacé. On peut demander aux autres ce qu’ils en pensent, viens ! reprend-il en commençant à marcher, suivi de Timba, qui traîne cependant. »
Pumon, suivi par Timba, marche d’un pas décidé vers Fléo, Gaston, Hermès et Olga, qui discutent également, verre à la main, sauf Gaston qui arbore une bière en bouteille, et Olga qui fait l’impasse sur l’alcool. Il s'immisce alors dans la conversation pour leur demander leur avis.
« Désolé de vous déranger, commence Pumon, mais on voulait ton avis sur un truc Olga.
- Euh… Oui ? répond Olga un peu gênée, hésitante à l'idée d’être mise en avant alors qu’ils viennent d’interrompre la conversation.
- Pumon veut se faire tatouer un gobeur noir dans le creux du bras droit et je pense que ça fait trop. T’en penses quoi ? explique Timba d’une traite, comme impatient.
- Alors personnellement, je m’en fous, répond sarcastiquement Fléo, bras croisés, coupant d'ailleurs Olga dans son élan de réponse.
- ...Merci pour ton avis, répond Pumon dépité, ironique.
- Mais arrête Fléo, c’est pas parce que t’aimes pas les tatouages que tu dois te comporter comme ça avec eux ! répond Gaston à Fléo d’un air renfrogné. Moi je trouve que ce serait une super idée, reprend-il en regardant Pumon d’un air convaincu.
- Il t’a pas demandé ton avis, marmonne Fléo.
- En vrai l’idée est cool, en plus après si tu veux le modifier tu pourras rajouter des gobeurs et faire carrément un troupeau ! rajoute Hermès, fier de sa blague. »
Alors qu’ils se mettent à rire, sauf Timba, agacé de voir tout le monde aller dans le sens de Pumon, Fléo s’eclipse du groupe et va voir Judd, en train de se resservir un verre.
« ...Ça va ? lance simplement Fléo, d’un ton un peu hésitant.
- Ça va, répond Judd en regardant le fond de son verre fraîchement rempli. C’est cool que vous soyez venu, reprend-il en se retournant vers Fléo avec un léger sourire.
- Ouais, je suis content aussi, ça faisait longtemps, répond-il avec un sourire. C’est juste un peu dommage qu’il y ait Gaston quoi, lui et sa candeur d’imbécile heureux, dit-il en faisant la grimace. »
Judd rigole, puis Fléo souffle du nez en le voyant rire.
« Bon, tu me ressers un verre ? C’est que je commence à me déshydrater, reprend Fléo en mettant en évidence son verre vide, arborant une mine faussement inquiète.
- Allez, répond Judd en prenant une bouteille devant lui. »
Ellipse. La soirée touche à sa fin, certains invités sont partis dormir à l’intérieur, d’autres, surtout les garçons, sont affalés aux quatre coins du jardin, endormis dans des positions plus ou moins cohérentes et confortables. Judd, seul éveillé, est assis en tailleur un verre à la main, et il observe les étoiles.
« Ok, je peux pas le nier, cette soirée était sympa, c’était une chouette parenthèse. Mais demain, tout recommence. »
Le lendemain matin, Judd se réveille l’esprit embrumé, dérangé dans son sommeil par de l’agitation autour de lui, et tandis qu’il peine à émerger, la conversation continue.
« Mais putain, c’est quoi ça ? hurle Kelly en faisant les quatre cent pas, transpirante.
- C’est vrai que c’est pas normal… lance Alister, fixant quelque chose qui retient son attention.
- Pas normal, c’est tout ce que tu trouves à dire ? Mais regarde ça, c’est pas juste “pas normal” bordel ! reprend Kelly en pointant du doigt la même direction.
- Je suis encore bourrée, je vais redescendre, c’est juste une hallucination… chuchote Margaret recroquevillée dans son coin.
- Ecoutez, on sait pas ce que c’est, mais une chose est sûre, on ferait mieux de s’en éloigner ! dit Isaac, d’un ton assuré, ou du moins il essaye, cherchant à se faire entendre de tous.
- C’est pas vraiment comme ça que j’imaginais ce lendemain de soirée… marmonne Fléo, les yeux dans le vague, comme absorbé par ce qu’il regarde. »
Judd achève finalement d’ouvrir les yeux, et alors qu’il se redresse pour être assis, demandant nonchalamment ce qu’il se passe, il voit en face de lui un immense portail, ou un trou noir : lui et les autres ne savent pas de quoi il s’agit, mais ce n’est effectivement pas censé être dans son jardin. Bouche bée, il se relève, ne lâchant jamais du regard cet objet étranger à son jardin.
• Deuxième partie du chapitre •
« Y avait quoi dans l’alcool ? Vous nous avez drogué c’est ça ? suggère Kelly, commençant à se tourner rapidement, cherchant un coupable.
- Arrête un peu tes conneries, tu nous prends pour qui ? lance Ghazi en s’approchant d’elle, irrité par ses accusations.
- Je vois même pas comment cette accusation peut te traverser l’esprit… précise Alister, sans la regarder, déçu de la voir réagir comme ça.
- Et puis on voit la même chose que toi, alors je comprend pas comment tu peux penser des trucs pareils, ajoute Shire, irrité.
- Je me fous de ce que vous pensez, on dirait que je suis la seule personne à réagir normalement, parce que je vous rappelle qu’il y a un foutu trou noir en plein milieu du jardin ! crie Kelly, au bord des larmes. »
Coupant la discussion, Pandore et Jessy sortent de la maison et rejoignent la terrasse, visiblement décontenancées.
« Impossible de contacter quelqu’un, personne ne répond… lance Pandore, désolée.
- Mes parents ne répondent pas, faut que je retourne chez moi, poursuit Kimka, qui bouscule ses deux amies, se précipitant vers la terrasse pour partir.
- Attendez, on sait pas ce qu’il se passe, alors on ferait mieux de rester groupés, vous croyez pas ? lance Shire, essayant d’apaiser les esprits, faisant s’arrêter Kimka.
- Il a raison, si ça se trouve tout ça est une gigantesque farce, mais tant qu’on est sûr de rien, on ne peut pas agir n’importe comment, poursuit Alister.
- Et quitte à faire le tour de la ville, c’est plus prudent d’y aller à plusieurs, conclut Isaac. »
Sur ces quelques mots, Isidore les surprend, puisqu’il arrive de l’avant de la maison par le jardin, une barre métallique dans la main droite.
« J’ai fait le tour du pâté de maisons, j’ai vu personne, elles sont désertes, lance Isidore en tapant la barre dans sa main gauche. »
Certains le regardent sans rien dire, déglutissant d’inquiétude, d’autres continuent de fixer le portail, tandis encore qu’il y en a qui paniquent de plus belle.
Ellipse. Isaac et Alister ouvrent le garage de Judd, qui les suit, et se rendent compte qu’il n’y a plus qu’un gobeur trotteur dans la pièce.
« Je comprend pas, tes parents avaient pas une carriole deux gobeurs ? lance Isaac en se retournant vers Judd, qui les regardait faire.
- Bah si… rétorque Judd, sourcils froncés, qui ne comprend pas non plus ce qu’il se passe.
- Alors pourquoi il n’y en a plus qu’un ? reprend Alister, en regardant Judd, qui se contente de hausser les épaules. »
Alister, accroupi près du gobeur trotteur, lui gratte le menton, soupire, puis se relève, et se retourne.
« Si le quartier est aussi désert que l’a dit Isidore, on peut toujours voir ce qu’il y a chez tes voisins et emprunter leurs gobeurs… dit Alister en balayant du regard son environnement.
- ...Euh ouais, mais t’es sûr qu’on risque pas de s’attirer des problèmes ? répond Isaac, hésitant.
- Des problèmes ? répète Alister. Y a un trou noir dans le jardin et visiblement tout le monde a disparu du quartier sauf nous, alors je crois qu’on peut se permettre de faire une entorse aux règles, dit-il en sortant du garage, s’avançant vers le portail. »
Alors qu’Isaac suit Alister et appelle Ghazi d’un signe de la main, venant d’arriver devant le garage, pour qu’ils les suivent, Judd fixe le gobeur trotteur et essaye de comprendre ce qu’il se passe.
Ellipse. Alister, Isaac, Ghazi et Judd sont dans une carriole tractée par deux gobeurs trotteurs, alors qu’Isidore, cinquième passager, est accroché derrière la carriole, tendu vers le côté droit, cherchant à casser tout ce qui passe devant sa barre métallique, arborant le même visage qu’un enfant dans un magasin de jouets, s’amusant comme un petit fou. Les autres sont quant à eux beaucoup plus concentrés, et tous, même Alister qui conduit la carriole, regardent autour d’eux pour trouver quelque chose qui pourrait les aiguiller, un indice, quelque chose qui sort de l’ordinaire, ou plus simplement une personne.
« A ce rythme on va croiser personne, t’es sûr que c’est pas ton patelin qui a un problème ? lance Ghazi, entre taquinerie et véritable inquiétude à Judd.
- Je sais que Vertemotte est pas franchement très agitée, mais là c’est quand même… commence-t-il en tournant la tête vers Ghazi, puis il s’arrête dans sa phrase, son regard s’arrêtant sur quelque chose. Là, y a quelqu’un ! reprend-il en pointant du doigt une direction, un jardin derrière une maison où il a vu de l’agitation. »
Alister arrête le véhicule, et Judd, premier à en descendre, est suivi d’Isaac et Ghazi, puis plus tardivement d’Alister, le temps qu’il arrête correctement les gobeurs trotteurs. Judd se précipite vers le jardin, et voit une tête connue, celle de Milo : assis à sa terrasse, il fait face à son jardin, un verre, d’eau certainement, à la main. Stupéfait, Judd l’interpelle.
« Milo, c’est toi ? lance Judd.
- ...Ouais, répond simplement Milo en se retournant.
- Mais attends, je savais pas que t’habitais aussi ici ! reprend Judd, toujours surpris de le voir.
- Tu me l’as jamais demandé, répond naturellement Milo en regardant son verre. »
Marquant un temps d’arrêt, Judd, bouche bée, ne sait pas comment réagir puis se contente de souffler du nez et d’arborer un sourire soulagé, soulagé de voir Milo.
De retour chez lui, ils rejoignent le jardin, tous sauf Isidore, reparti en ronde dans le quartier, alors qu’à l’avant de la maison, Alister et Ghazi s’arrêtent face à Pandore, qui attendait, et lui font un compte rendu de leur expédition. Judd et Isaac s’aventurent quant à eux dans la partie arrière du jardin, où se trouvent le trou noir et les autres, et en chemin ils croisent, excentrés, Hermès et Gaston, qui observent le casque du premier parce qu’il ne fonctionne plus, Hermès précisant que même s’il est plus tout jeune il devrait fonctionner. Judd et Isaac n’y prêtent cependant pas spécialement attention, et ils constatent, arrivés au coeur du jardin, qu’une jeune fille s’est joint à leur groupe, assise sur le bord de la terrasse, et parlant avec Olga. Judd la remarque et se fige, puis Isaac la voit et comprend la réaction de Judd.
« Bah alors, c’est pas elle la fille dont tu m’as tant parlé ? lance discrètement Isaac à Judd, en lui tapant sur l’épaule, un sourire diabolique sur le visage. Je sais pas ce qu’il se passe mais t’as l’occasion de faire sa connaissance, alors parle lui. »
Alors qu’Isaac laisse Judd pour aller voir les autres et leur demander s’ils ont du nouveau, Judd replonge dans ses pensées.
« Lui parler, c’est facile à dire pour lui… Je l’ai tellement observée, je l’ai tellement fantasmée, je sais qu’elle est trop bien pour moi. Elle est magnifique, et moi je suis si banal. Je suis personne. Et si je trouvais rien d’intéressant à lui dire ? Et si... »
Judd observe Olga et cette jeune fille, et constate qu’Olga s’eclipse, la laissant seul.
« Et après tout, c’est pas comme si j’avais grand chose à perdre… »
Judd profite ainsi de cette ouverture pour prendre son courage à deux mains et s’approcher de cette jeune fille.
« ...Salut, commence Judd, d’un ton faussement assuré mais pourtant hésitant, avec un sourire gêné, en s’asseyant à côté d’elle, à sa droite.
- Salut, répond-elle, avec le même sourire gêné.
- Moi c’est Judd, comment tu t’appelles ? continue Judd d’un ton hésitant.
- Iris, répond-elle en détournant le regard.
- Je… Tu prends le même bus que moi je crois, non ? reprend Judd pour essayer d’alimenter la conversation, avec des questions dont il connaît pertinemment la réponse.
- Euh, je… Je sais pas, peut-être, répond Iris étonnée par la question. »
Judd se rend compte qu’il est en décalage total avec la situation, et réoriente alors la conversation après un moment de blanc.
« T’habites dans le coin du coup, j’imagine ? lance Judd, dans un faux sursaut de confiance.
- Oui, et quand je me suis réveillée ce matin et que j’ai compris que j’étais toute seule, j’ai vraiment eu peur… répond Iris, en regardant ses pieds.
- T’as dû être soulagée de tomber sur mes potes, alors, répond Judd avec un sourire rassurant.
- Oui, surtout que j’ai pas réussi à joindre mes parents ni mon copain, alors ça me rassure de voir que je suis pas toute seule… dit Iris en souriant, regardant Judd. »
Judd perd son sourire à la fin de la phrase d’Iris, ayant bien évidemment retenu qu’elle avait un copain. Elle le voit perdre son sourire et perd aussi le sien, interloquée.
« J’espère que tu les retrouveras, reprend Judd en détournant le regard, avec un sourire forcé de politesse. »
Iris regarde alors Judd se relever, Judd regardant sur sa droite pour échapper au regard d’Iris. Une fois debout, il se retourne vers elle.
« En attendant, tu peux rester ici si t’as pas envie d’être seule, finit Judd en la regardant rapidement, essayant de rendre son sourire le plus sincère possible.
- Ah… Merci… répond Iris en regardant Judd partir. »
Alors que Judd marche sans direction précise dans le jardin, Isaac vient lui parler.
« ...Alors ? dit Isaac à Judd avec un sourire coquin, passant son bras droit autour de l’épaule de Judd pour le prendre à part, tout en regardant derrière lui pour guetter la fameuse Iris.
- ...Elle a un mec, répond Judd sèchement en regardant vers le sol.
- Ah, bégaye Isaac, pris au dépourvu. T’inquiète, t’en trouveras une autre, et puis… reprend Isaac, cherchant les bons mots pour apaiser Judd. »
Judd ignore cependant ces paroles et d’un mouvement de la main gauche, pousse celle d’Isaac pour lui faire comprendre qu’il ne veut pas entendre son discours de réconfort inutile. Isaac comprend le message, et s’eclipse, l’air désolé, en grimaçant. Judd, désormais au bout du jardin et dos à tout le monde, se retourne et soupire.
« Evidemment. Evidemment qu’elle avait un copain. Je suis tellement naïf. »
Ellipse. Le lendemain matin, les recherches s’organisent : la plupart des invités de la soirée sont devant la maison, en train de se répartir les tâches, d’élaborer un plan, et Judd arrive du jardin, retardataire, traînant le pas, et n’entend donc que la conclusion de l’organisation.
« ...Donc on va aller voir ce qui se passe à Torime, et s’il y a du nouveau là-bas, dit Alister, qui capte l’attention de tous.
- Quant à moi, je vais refaire un tour de Vertemotte et chercher de la nourriture, poursuit Shire. J’attends des volontaires pour m’accompagner, conclut-il, alors qu’il commence à se diriger vers une carriole garée à proximité. »
Judd, un peu excentré du groupe, ne dit rien, reste figé, le regard dans le vague, puis il finit par remarquer qu’Iris monte dans la même carriole que Shire. Isaac vient alors le voir, et le sort de ses pensées.
« Tu viens ? lance Isaac à Judd, avec un sourire amical.
- Euh non, je vais rester là, répond Judd, confronté au silence d’Isaac, qui ne semble pas convaincu. On sait jamais, si ça bouge du côté de ce trou noir… poursuit-il.
- D’accord, rétorque Isaac. »
Ainsi, Isaac s’en va rejoindre l’une des carrioles, alors que Judd, qui les regarde tous partir, croise le regard de Shire, un regard noir, arrogant, qu’il lui renvoie, puis les carrioles partent.
Quelques jours passent et une nouvelle routine s’installe, entre explorations, tentatives de contacter le monde extérieur, approvisionnement en nourriture… Et on peut lire sur le visage de Judd, fermé, la lassitude qui augmente au fil des jours, cette lassitude de voir une nouvelle routine se créer dans sa vie. Alors qu’ils sont réunis dans un jardin un après midi, Milo vient tirer Judd de ses pensées.
« Qu’est-ce qui se passe ? demande subitement Milo à Judd, le faisant légèrement sursauter.
- Bah rien… répond Judd en détournant le regard.
- Tu mens très mal, rétorque Milo en grimaçant.
- C’est drôle, t’es pas le premier à me faire la remarque… lance Judd en souriant. »
Ellipse. Judd et Milo sont assis tous les deux sur le bord de la terrasse. Milo est assis en tailleur, les mains posées sur le sol, alors que Judd est assis sur les fesses, les jambes pliées et recroquevillées, et les mains jointes posées sur les genoux, presque en position foetale.
« On va les retrouver, faut pas t’en faire pour ça. Ils peuvent pas s’être volatilisés, lance Milo. »
Judd regarde le sol, puis regarde Milo, et hésite un instant avant de lui répondre.
« Tu vas sûrement me trouver monstrueux, mais c’est pas ça qui me dérange le plus, lance finalement Judd. »
Milo hausse les sourcils, avant de finalement lui répondre.
« Pas vraiment, répond Milo alors que Judd se retourne vers lui, surpris de sa réponse. Je me suis jamais senti spécialement proche de ma famille, alors que mes amis, je les ai choisis… Ça te fait sûrement ça aussi, mais je me sens plus proche de… De vous, que de ma famille, même en supposant qu’elle ait disparue, conclut-il.
- Ouais, je ressens un peu ça, moi aussi… répond Judd après un moment de blanc.
- Mais c’est pas ça qui te dérange, alors c’est quoi ? reprend Milo, prêt à aller droit au but.
- C’est la routine, lance Judd.
- La routine ? répète Milo, qui ne comprend pas.
- La routine qui s’installe… Je supportais plus la routine scolaire qu’on nous impose depuis des années, et j’ai pas envie d’entrer dans une nouvelle routine où on va remplacer des cours pourris par des expéditions inutiles… poursuit Judd, sous le regard attentif de Milo. Et puis même si nos parents, nos familles réapparaissent, c’est l’ancienne routine qui va reprendre, finit Judd après une pause.
- Alors quoi ? lui lance Milo après quelques instants, tandis que Judd arrête de fixer le sol pour le regarder. T’enfuir, tracer ta route tout seul, découvrir le monde ? »
Judd fixe Milo quelques instants puis regarde le sol à nouveau.
« Je sais pas… répond Judd, grimaçant. »
Au même moment, Alister, Fléo, Pumon et Timba surgissent, revenant d’une expédition, alors que Judd se relève.
« Alors ? lance Pandore en direction des revenants.
- Alors on a croisé un autre groupe à Torime, répond Alister en s’approchant d’eux.
- Des ados ? demande Kimka.
- Des ados, confirme Alister, des ados qui n’en savent pas plus que nous sur tout ce bordel, conclut-il, irrité. »
A cette annonce, les réactions sont diverses, entre ceux qui accompagnaient Alister et qui étaient déjà au courant, ceux qui grimacent à la réception de cette nouvelle, ceux qui recommencent à paniquer à l’idée de ne pas en savoir plus, et ceux qui ne réagissent plus. Au milieu de ce groupe, Judd s’est levé, et se tient désormais en face du trou noir. Personne ne remarque spécialement sa présence, pas même Milo qui s’était détourné de lui pour écouter le bilan des éclaireurs.
« Je sais ce que je vais faire… »
Jusqu’ici immobile, Judd se fait finalement remarquer quand il s’élance dans le trou noir, disparaissant en un instant du jardin, sous les hurlements de ceux qui crient son nom, trop tard cependant pour le retenir. Tout le monde reste muet pendant un instant, puis Isaac laisse exploser sa colère et son inquiétude.
« Putain ! Mais pourquoi il a fait ça, si ça se trouve ça l’a tué !! crie Isaac en marchant en rond, de façon incohérente. »
Puis il finit par s’arrêter et fixe Milo, bouche bée et choqué, et se dirige vers lui d’un pas rapide, finissant finalement par se baisser et l’attraper par le col.
« Toi ! Il te parlait, t’aurais pas pu l’empêcher de faire ça ?! hurle Isaac à Milo d’un ton agressif.
- On sait pas ce qu’il y a derière ce trou noir, lance alors Alister, tandis qu’Isaac le regarde, lâche le col de Milo et se relève. On est même pas sûr que ce soit quelque chose de mauvais, continue-t-il, captant l’attention de tous. On a juste fait le rapprochement parce que nos parents ont disparu en même temps que ce portail est apparu, conclut-il.
- Les expéditions nous mènent nulle part, ajoute Ghazi, l’air contrarié. Ça commence à me gonfler de rester ici, surtout qu’il y a peut-être des réponses de l’autre côté de ce truc. Mais si on reste là on en saura jamais rien, poursuit-il. Donc… »
Sur ce dernier mot, Ghazi s’élance à son tour dans le portail, sous les cris des amies de Pandore, et le silence choqué des autres adolescents. Sans un mot de plus, Alister le suit et marche à son tour dans le trou noir, disparaissant comme Judd et Ghazi avant lui. Kelly, les yeux cernés par ses crises de larmes répétées, commence à pleurer, alors que Jessy et Kimka sont presque aussi inquiètes qu’elle, prêtes également à fondre en larmes.
« Oh mon dieu mais ils sont fous, si ça se trouve ils sont morts ! se plaint Kelly.
- On devrait tous rester soudés et continuer à chercher nos parents, pourquoi ils font ça bordel ?! rajoute Kimka, qui commence également à pleurer. »
Alors que Kimka tente de prendre Jessy, Kelly et Pandore dans ses bras, Pandore l’en empêche d’un coup d’épaule et se relève. Kimka s’arrête de pleurer, reniflant, et regarde Pandore debout, dos à elle.
« Pandore, qu’est-ce que tu fais ?... demande alors Kimka, perdue. »
Pandore se retourne vers Kimka et ses amies, l’air énervée.
« J’en peux plus de vous entendre pleurnicher depuis des jours, commence-t-elle, impatiente. Je préfère encore me risquer à rentrer dans ce foutu trou noir que de continuer à vous supporter, conclut-elle en se dirigeant d’un pas agacé, mais assuré, vers le trou noir. »
Comme les autres avant elle, Pandore disparaît. Les trois filles se remettent à pleurer de plus belle, criant le prénom de Pandore, et se demandent ce qu’il lui a pris. Isaac, qui a assisté à ces départs successifs sans réagir, est choqué, bouche bée, il ne bouge pas. Il finit par fermer la bouche, déglutit, puis prend une expression déterminée, marchant jusqu’au portail. Il s’arrête devant, expire un grand coup, puis se lance à son tour dans le trou noir, sous le regard impuissant des autres adolescents.
• Troisième partie du chapitre •
Judd se réveille allongé dans une plaine, une immense plaine où il n’y a que de la verdure à perte de vue. Intrigué et méfiant, il se relève et commence à marcher, perdu. Il marche, marche encore, et le sol sous ses pieds se dérobe, devenant granuleux : il commence à s’enfoncer dans cette verdure qui se transforme monceaux par monceaux en grains de sable, des grains qui l’entraînent vers le fond comme des sables mouvants, alors qu’il n’a même pas le temps de se demander ce qu’il se passe. La main gauche tendue, il ne reste bientôt plus que cette même main et sa tête qui dépassent du sable, alors que des vagues de sable surgissent de l’arrière et contribuent à l’enfoncer plus encore dans ce guêpier. Alors qu’il s’enfonce complètement dans le sol, jusqu’à se retrouver enfermé dans les ténèbres, il a l’impression de chuter, comme s’il glissait sur une pente de sable. Il finit par voir de la lumière, et distingue ce qui semble être, encore une fois, un sol sablonneux, et il chute depuis ces ténèbres dans tout ce sable, alors que sable continue de s’écouler sur lui, après sa chute, depuis la direction d’où il vient.
Sortant la tête du sable, il observe autour de lui, crachant le sable qu’il s’est retrouvé malgré lui à engloutir, et après quelques instants de marche, il se confronte à un mur, un mur invisible. Après s’être touché la tête, un peu sonné, il regarde mieux devant lui et se rend compte qu’il s’agit en fait d’une paroi en verre, parfaitement transparente, qui entoure une certaine zone. Il lève la tête et constate que le sable qui lui tombe dessus depuis les ténèbres passe par une sorte d’entonnoir. Judd s’arrête un instant, la tête bloquée vers le haut, comprenant finalement le sort qui l’attend, celui de finir, une fois de plus, noyé dans le sable.
« Alors je suis… Dans un sablier ? »
Il ressort ensuite de ses pensées, et se rend compte qu’il a déjà du sable jusqu’aux genoux. Paniqué, il tourne la tête rapidement, plusieurs fois, cherchant une solution, certainement un objet pour se sortir de cette impasse, mais il n’en trouve pas. Il se met alors à taper des deux mains, désespérément sur la vitre en espérant qu’elle se brise. Il frappe de toutes ses forces, en vain, et après avoir repris son souffle, il donne un dernier coup, motivé par la peur, qui fait céder le verre, et fait tomber tout le sable dans un vide, dans un néant blanc, le sable glissant le long de la vitre brisée emportant également Judd. Il finit par se heurter au sol, un sol aussi blanc que le vide dans lequel il tombait jusqu’ici, et il ferme les yeux quelques instants, endoloris, le temps de se relever.
Les mains sur le sol, penché sur ses genoux, Judd relève la tête et se rend compte qu’il est dans une ville, mais une ville cependant très primaire, toujours baigné dans ce fond blanc caractéristique de ce qu’il a vécu jusqu’ici. D’un seul coup, des gens apparaissent de toutes parts et circulent dans la ville autour de lui comme s’il n’était pas là, et Judd finit par se rendre compte que malgré leurs vêtements variés, ils ont tous le même visage que lui. Bouche bée, il se relève difficilement et reste immobile, bougeant simplement la tête et le buste pour observer tous ces gens passer autour de lui en l’ignorant alors qu’ils ont le même visage. Judd réfugie alors sa tête entre ses mains, serrant sa tête très fort entre ses bras, crispé et les dents prêtes à claquer, fermant les yeux comme pour essayer de nier ce qu’il a vu.
« Putain mais c’est pas possible, je dois être en train de faire un cauchemar... »
En rouvrant les yeux et en éloignant ses bras de son visage, il se rend compte qu’un immense soleil se rapproche de sa position, et qu’au fur et à mesure qu’il avance, les visages de tous ces pantins qui sont la copie conforme de Judd se mettent à fondre, mais seulement leur visage : il voit ainsi leurs bouches, leurs sourcils, leurs yeux tomber, fondre le long de leurs corps comme cire au soleil, alors qu’ils continuent d’affluer comme si de rien n’était, et se retrouvent finalement sans visage. C’est ensuite au tour de Judd, l’original, de sentir son visage fondre… Il se touche compulsivement le visage, sent sa peau fondre sous doigts, et alors que ses yeux commencent également à tomber, il essaye désespérément de les maintenir à leur place. Il tombe à genoux, continuant d’essayer de maintenir son visage à sa place, et sans qu’il ne se rende compte, une immense vague d’eau arrive et l’emporte dans son sillage, ne lui laissant pas le temps de se rendre compte de ce qu’il se passe, une fois encore.
Pendant ce temps, Pandore est confrontée à un néant blanc où les seuls éléments qui détonnent sont Pandore et les multiples miroirs identiques qui l’entourent, et qui renvoient une image d’elle particulièrement vieillie et peu flatteuse. Les yeux humides, elle casse alors un miroir d’un coup de poing, et sent qu’elle se met à vieillir, revêtant l’apparence du reflet dont elle venait de briser le miroir.
Ailleurs, Ghazi est quant à lui dans une ville vide, absolument vide, où le ciel est absolument noir, comme les ténèbres affrontés par Judd. Il commence à appeler, demander s’il y a quelqu’un, déglutit, et commence à courir devant lui, en regardant derrière et sur les côtés, au cas où il verrait enfin quelqu’un, puis il finit par se concentrer sur sa course, et donc ce qu’il y a devant lui, et il se rend compte que dans le ciel est apparu une immense lune, une lune avec un visage terrifiant qui semble se diriger vers lui, alors que Ghazi est tombé au sol, transpirant et paralysé.
De son côté, Alister est emporté par une vague de sable, et commence à se noyer dans le sable en se débattant, comme Judd avant lui.
Au même moment, Isaac se confronte à un néant blanc dans lequel apparaît une fille blonde, sans visage, vêtue d’une longue robe blanche évasée, qui se positionne devant lui, ne bouge pas, et avant qu’il n’ait le temps de se poser des questions, elle tend le bras face à lui, et l’enfonce dans sa poitrine : son bras semble passer au travers d’Isaac, mais elle en ressort cependant avec son coeur, qui bat encore. Alors qu’Isaac suffoque, commençant à s’effondrer, un sourire terrifiant se dessine sur ce visage jusqu’ici vide.
Une fois de plus, Judd se réveille quand comprendre où il est. Bercé par une vague qui le dérange dans son sommeil, il semble être au bord d’une plage sablonneuse. Il ouvre les yeux lentement, s’aperçevant de l’océan infini qui semble s’étendre derrière lui, puis tourne la tête, et voit à perte de vues, des tombes identiques alignées et plantées dans le sable. Il commence à déambuler dans le sable, passant à côté des tombes, cherchant des différences entre chacune de ces tombes où il n’est inscrit à chaque fois que “N’importe qui”, et plus il avance, s’enfonçant dans ce cimetière infini, plus il se met à courir, à paniquer, comme s’il devenait fou à force de voir le même paysage passer en boucle. Il commence à ralentir dans sa course, et finit par s’apercevoir que ses jambes sont en train de se transformer en sable, si bien qu’il finit finalement par être cloué au sol, s’écroulant faute de jambes pour avancer. Il commence à pleurer, épuisé, et tape du poing sur le sol, hurlant son désespoir la tête dans le sable.
« J’en ai marre bordel… J’en peux plus de tout ça, je veux que ça s’arrête… »
Il continue de pleurer alors que la transformation de son corps en sable continue, s’étendant jusqu’à son entrejambe.
« Je veux pas être comme tous ces morts… Je veux pas être un anonyme… »
La progression continue jusqu’au milieu de son ventre, alors qu’il pleure moins intensément et relève la tête.
« Je ne veux pas être n’importe qui… Non, je ne suis pas n’importe qui. »
Judd tape alors des deux poings sur le sol, et redresse le peu de corps qu’il lui reste en se servant de la force de ses bras, en direction du ciel, pour finalement hurler sa conviction.
« JE NE SUIS PAS N’IMPORTE QUI ! »
D’un seul coup, le temps semble se figer : le sable arrête de progresser, de s’agiter, puis une tornade se forme et emporte avec elle tout le sable, dont le sable qui transformait Judd, et laisse apparaître ses membres à nouveau à leur place, sans affecter Judd, qui reste au sol. Après quelques instants, et quand la tornade disparaît au loin, il se rend compte que sous le sable se cachait la plaine verte dans laquelle il se trouvait précédemment. Il se relève lentement, épuisé, et voit en face de lui un trou noir, un portail identique à celui qu’il a utilisé pour entrer dans ce monde à part. Les yeux cernés, il se dirige d’un pas fébrile vers le portail, et plutôt que de simplement marcher au travers, il s’écroule devant et tombe évanoui, chutant de l’autre côté du portail, à l’endroit même où il l’avait emprunté la première fois.
Cependant, le décor a changé depuis son départ, puisque les herbes sont bien plus hautes : plus précisément, les mauvaises herbes ont poussé, et il n’y a manifestement plus personne dans le jardin. Le temps passe, et au fil des heures, le portail s’agite, expulsant tour à tour Pandore, qui tombe à un ou deux mètres de Judd, Ghazi, expulsé quelques mètres devant le portail, presque sur la terrasse carrelée, puis Isaac, qui s’écroule près du portail, tombe à gauche, là où Judd et Pandore étaient tombés à droite. Puis le portail s’agite une dernière fois, se rétractant sur lui-même jusqu’à ne plus rien laisser de son passage, comme s’il n’avait jamais été là.
Quelques heures plus tard, alors qu’ils sont tous endormis, une silhouette s’approche en silence de leurs corps inertes, et les emporte tour à tour pour les emmener on ne sait où. Et dans le jardin, là même où se trouvait le portail, il ne reste qu’une petite fleur perdue parmi les mauvaises herbes… Une datura.