Genèse
« Au commencement, le souffle de dieu tournoyait au coeur des ténèbres, et les ténèbres recouvraient l’abime. Dieu dit "Que la lumière soit", et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière "énergie" et les ténèbres "espace/temps". Il y eut un soir, il y eut un matin. Ce fut le premier jour. »
Auteur
Denis Bajram est un dessinateur français, né à Paris en 1970 et dont la principale œuvre est, et restera, Universal War One. Il fait ses études à la faculté des sciences de Jussieu -qui lui permet d’acquérir une connaissance certaine de la physique, qui est au centre de sa série phare- puis rejoint les Beaux-Arts avant d’étudier la scénographie et le graphisme aux Arts déco de Paris. Il est remarqué très jeune par le fanzine Scarce, qu’il quittera pour l’équipe du Goinfre cinq ans plus tard, en 1992. Il deviendra rédacteur-en-chef pendant un an avant de partir en 1994 pour débuter des projets.
Très vite, il rencontre Thierry Cailleteau et Guy Delcourt qui lui permettront de sortir sa première bande-dessinée « professionnelle », Cryozone, le premier étant son scénariste et le second son éditeur. En les deux tomes de cette série, il en profite pour quitter Paris et s’installe à Angoulême, où il travaillera dans plusieurs ateliers.
En 1998, la maison d’édition Soleil lui offre la liberté de commencer une nouvelle série, en solitaire cette fois-ci, qui deviendra rapidement son œuvre culte : Universal War One. Il y travaille pendant huit longues années, pendant lesquelles il reviendra sur Paris avant de s’installer pour de bon à Bruxelles ; il fondera un atelier avec son épouse Valérie Mangin, scénariste ; et il créera le scénario des Mémoires Mortes, aux Humanoïdes Associés.
En 2006, il devient son propre éditeur en fondant avec sa femme un nouveau département éditorial au sein des Humanoïdes Associés, Quadrant, qui englobe tous les projets du dessinateur, notamment son dernier, tout en préparation, Trois Christs.
Introduction
Bajram étant un fondu de sciences, Universal War One (aussi abrégée en UW1) est une œuvre de science-fiction, prenant les théories physiques les plus connues (notamment celle de la relativité d’Einstein) et tout en y apportant sa vision scientifique du monde, reniant ou approuvant certains aspects des théories échafaudées. L’auteur a cependant l’art d’expliquer simplement la science, permettant ainsi de ne pas réserver exclusivement sa série à une « élite » quelconque, et de rendre accessible à tous les théories les plus complexes et fascinantes de la physique.
Pour compléter le tout, UW1 est construite de façon à ce que chacun de ses six tomes soit ponctué intelligemment par les passages les plus marquants de la Bible (qui sont tous symbolisés dans le titre des volumes), donnant à l’ensemble un caractère religieux assez prenant, et qui évite de plonger dans le pompeux.
On observe donc que la bande-dessinée est un mélange improbable et pourtant extrêmement réussi de deux concepts qui semblent pourtant interagir en opposition. La combinaison des deux fait que la série flotte entre la crédibilité la plus totale et le fantastique ; comme si Bajram voulait qu’on puisse croire à cette histoire, tout en nous rappelant que ce n’est que de la fiction.
Fruit de la connaissance
« L’éternel Dieu dit : Voici, l’homme est devenu comme l’un de nous, pour la connaissance du bien et du mal. Empéchons-le maintenant d’avancer sa main, de prendre de l’arbre de vie, d’en manger, et de vivre éternellement. Et l’éternel Dieu le chassa du jardin d’Eden, pour qu’il cultivât la terre, d’où il avait été pris. C’est ainsi qu’il chassa Adam ; et il mit à l’orient du jardin d’Eden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie. »
Synopsis
2098.
En moins d’une centaine d’année, la colonisation du système solaire a explosée, envoyant dans l’espace des millions d’hommes sur les colonies artificielles telles Terre 2 (la Lune) ou Terre 3 (Mars). Depuis cinquante ans, deux grandes organisations universelles sont au-dessus de ce titanesque chantier : la Fédération des Terres Unies, réorganisation de l’ONU et réunification de tous les territoires terrestres sous une seule et même bannière ; les Compagnies Industrielles de Colonisation qui sont le regroupement de neufs sociétés multimilliardaire pour emporter les formidables nouveaux marchés coloniaux.
Entre Saturne et Jupiter, au cœur des jeunes Etats les plus prospères de la Fédération des Terres Unies, la troisième flotte de l’United Earthes Force veille inlassablement sur la périphérie du système solaire. Elle assure par son gigantisme un incroyable sentiment de sécurité à ses habitants.
Mais LE MUR est apparu. Si grand, si sombre. Insondable.
Ici commence la Première Guerre Universelle.
L’escadrille Purgatory
Sous ce nom évocateur dans ses connotations bibliques se cache le cœur même du récit, puisque c’est là que les sept personnages principaux du récit commencent leur périple. Sept personnages au caractère très typés, parfois à la limite de l’archétype, mais qui réussissent tous à être émouvant à un moment ou à un autre, jamais caricaturaux, touchants et dans lesquels ont réussi à se retrouver.
June Williamson
C’est elle qui commande l’équipe de bras cassés et de fêlés qui composent l’escadrille, sous le grade de capitaine. Originaire d’Afrique du Sud, June est aussi nantie d’un cœur généreux et d’une grande faiblesse humaine, qui lui ont valu d’entrer au commandement de l’escadrille Purgatory, lorsqu’elle a osé désobéir aux ordres de ses supérieurs et qu’elle n’a pas massacré des gens lors d’émeutes ouvrières sur Titan.
Kate Von Richtburg
Commandant en second de June, cette jeune allemande est la seule de l’équipage à ne pas avoir commis de faute. C’est grâce à son père, l’amiral Von Richtburg, le commandant de la troisième flotte, qu’elle y ait entré. Même si elle a un look de fille à papa, Kate n’en reste pas moins une jeune femme ayant besoin de mûrir, ce qui s’effectuera tout le long du récit.
John Baltimore
Plus souvent appelé Balti par ses compagnons, il a la gueule et la mentalité d’une caricature américaine : beau gosse étant entré dans l’armée grâce au football américain, il a un caractère impulsif qui le fait se prendre pour un héros en de nombreuses situations à risque. C’est d’ailleurs en outrepassant les ordres de ses supérieurs qu’il a causé la mort d’une douzaine de personnes, ce qui lui a valu d’être envoyé dans l’escadrille.
Paulo del Gado
Pour sa très forte ressemblance avec une icône du jeu vidéo, il a été très rapidement dans la vie renommé Mario, ce qui constitue pour lui un deuxième prénom beaucoup plus employé par ses fréquentations que son vrai prénom. Mario est un pleutre, qui déserta lors d’une mission, ce qui entraina la perte de trois transbordeurs. Trouillard de nature, il n’a aucune confiance en lui, ce qui fait qu’il se décrit comme laid, bête et pas très gentil avec les autres. Il navigue avec Balti, ce qui met en rude confrontation leur caractère diamétralement opposés.
Milorad Racunisca
Ce serbe d’origine est assez obscur, préférant le plus souvent rester en retrait que s’afficher. Il a été envoyé dans l’escadrille après avoir été condamné par la cour martiale de l’UEF pour agressions sexuelles sur une infirmière.
Amina El Moudden
Elle est la benjamine de l’équipage, puisqu’elle s’est engagée dans l’armée le jour de ses dix-huit ans afin de fuir un père qui abusait d’elle et le mariage qu’il avait arrangé pour elle. Toutefois, son âge n’est en aucun cas synonyme d’innocence puisqu’elle est arrivée ici après avoir émasculé un colonel qui essayait d’abuser d’elle, colonel qui est encore dans le coma. Malgré tout, elle reste bien intégrée dans l’escadrille et est une redoutable pilote.
Edward-Phillip Kalish Warrington
Ce scientifique détenteur de quatre doctorats en mathématiques et physique est le cerveau du groupe. Il est notamment celui qui a permis la mise au point du vol spatial. Son intelligence est telle qu’elle lui vaut un complexe de supériorité, ce qui lui permet de trouver légitime de raser un bar de Titan après des altercations avec d’autres personnes.
Caïn et Abel
« Dans la nuit, Caïn adressa la parole à son frère Abel ; Et par la parole, Caïn vainquit son frère Abel, et son frère Abel, pris de doutes se tua. L’éternel dit à Caïn : Où est ton frère Abel ? Il répondit : Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère ? Et Dieu dit : Qu’as-tu fait ? La voix de son sang hurle à en couvrir ta parole ! N’as tu donc pas compris que c’est toi que tu tuais en tuant ton propre frère ? »
Guerre universelle
A nouvelle époque, Bajram nous montre sa vision de la guerre futuriste. Une guerre qui emprunte beaucoup aux différentes conflits du XXème siècle, tels que –évidement- la WW2 ou la Cold War. Si au premier abord, certains moments peuvent renvoyer au nazisme, comme on peut le voir avec les soldats de la CIC (et les paroles d’un des personnages qui les traite ainsi), je ne pense pas que Bajram ait voulu jouer dans la facilité et s’est juste limité à une telle référence. S’il la prend bien pour départ, on remarque que l’idéologie est en tout point opposée : le nazisme est une forme extrême du nationalisme, du communisme et du naturalisme ; alors que celle du CIC est une forme extrême du capitalisme le plus abjecte, qui consiste à avoir le monopole le plus complet sur le marché. La différence se situe sans aucun doute là et tranche incontestablement entre les deux idéologies, ce qui nous amène à penser que Bajram est allé plus loin qu’une simple transposition du passé dans le futur, et qu’il a véritablement créé un nouveau genre de guerre.
De plus, empruntant beaucoup sur la Cold War, on voit rapidement que l’UW1 est basée sur une intimidation à base de menaces d’attentats tous plus démesurés les uns que les autres. Mais là où cette guerre devient réellement effrayante, c’est qu’elle s’attaque à l’humanité toute entière, pour des raisons commerciales, comme si l’être humain ne pouvait que se détruire lui-même.
Et même, en comparant les deux guerres déjà citées avec celle-ci, on peut voir une allusion très forte dans le fait que c’est une « guerre éclair ». L’effarante poussée technologique permet la création d’armes de destructions massives instantanées et surpuissantes, une vision extrêmement pessimiste de la technique par l’auteur.
Les références bibliques ne sont pas anodines non plus, étant données qu’elles permettent de donner une épaisseur aux évènements. L’uniformisation du mode de vie (représenté notamment par le restaurant Mc Donald) à une échelle universelle, et la création idyllique d’un seul état souverain sur Terre sont rapidement mis en relation par l’auteur avec la Tour de Babel, Tour qui finit par amener la destruction des hommes et leur éparpillement. Il existe dans chaque tome un parallélisme vraiment bien fait entre les évènements de l’Histoire et la Bible, qui ponctue le récit de citations ; ce qui rajoute un degré de lecture supplémentaire appréciable.
Il est évident qu’avec mon niveau en cours de lettre, mon décryptage est extrêmement limité sur une telle œuvre, et que d’autres personnes sauraient plus creuser en profondeur alors que je reste à la frontière de l’évidence.
Tragédie
Toute l’intrigue repose sur un aspect tragique que l’auteur a exacerbé afin de rendre son histoire encore plus cruelle, sans pour autant montrer une violence gratuite et saignante au travers de ses pages.
Ce qui est intéressant là dedans, c’est qu’il crée une double tragédie : celle de l’humanité et celle des personnages.
La première est assez simple, puisqu’elle concerne évidement la guerre universelle qui a lieux et ses conséquences. La deuxième n’apparaît qu’à la fin, lors du dénouement, et rend l’histoire encore plus dense. On peut voir en effet que le tragique est similaire à celui des pièces antiques, où les personnages sont cloitrés dans une situation intenable à laquelle ils ne peuvent pas échapper. Le piège tragique s’est refermé sur eux avant même qu’ils en aient conscience, et de là né une pitié de la part du lecteur, rendant les personnages énormément attachants.
Déluge
« Et il arriva que les hommes commencèrent à se multiplier sur la surface de la Terre.
Et l’éternel vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la Terre, et que toute l’imagination des pensées et de son coeur n’étaient que méchanceté en tout temps.
Et l’éternel se repentit d’avoir fait l’homme sur la Terre, et il s’en affligea dans son coeur.
Et l’éternel dit : j’exterminerai de dessus la face de la Terre L’homme que j’ai créé, depuis l’homme jusqu’au bétail, jusqu’aux reptiles, et jusqu’aux oiseaux des cieux, car je me repens de les avoir faits. »
Aspect graphique
La première chose qui frappe si l’on feuillète les pages d’un des six tomes, c’est bien la beauté du trait. Le style de Bajram est très réaliste et nous offre des personnages reconnaissables entre mille. En quelques pages, on réussit à identifier les têtes tant il a voulu les marquer physiquement. Cette pluralité du style provient en partie des origines diverses des personnages, mais elle n’en reste pas moins très réussie.
On remarque aussi que la palette de couleur est vraiment sombre, ce qui renforce la solitude de l’espace, donne un caractère claustrophobique a beaucoup de scènes. L’oppression se fait aisément ressentir. De plus, il alterne entre des nuances froides et chaudes, donnant une impression de fournaise ou de glacier, qui, dans les deux cas, insiste sur le malaise de l’aventure. Les pages jonglent entre les deux ambiances, ce qui a pour but de ne pas nous laisser indifférent, et former le sentiment de la tragédie.
Bajram fonctionne aussi par une construction au niveau des cases, qui s’entremêlent, se superposent dans les moments les plus intenses, nous immergeant dans la vitesse des évènements. Et pour les passages les plus dramatiques, il peut prendre des pages entières pour marquer un seul évènement. On voit d’ailleurs à la fin du tome 4 une apocalypse qui n’est pas sans rappeler le découpage chaotique d’Otomo lors des scènes de destructions, une référence qui saute aux yeux tant elle parait être un hommage.
Si dans les premiers tomes, il utilise les méthodes ancestrales de dessin et de coloriage, il finit son œuvre en utilisant des techniques modernes sur l’ordinateur, créant des effets célestes à couper littéralement le souffle, notamment la voie lactée qui est extraordinaire de réalisme.
Babel
« La Terre avait été détruite et dispersée au néant, et ceux qui étaient avec Noé furent frappés de saisissement. Ils étaient perdus dans les cieux. »
Avis
Si je ne devais résumer UW1 en un seul mot, celui-ci serait parfait.
Oui, cette bande-dessinée fait parti des chefs-d’œuvre du genre, qui en seulement six tomes nous époustoufle et laisse une trace indélébile. La perfection est atteinte au niveau des personnages, qui sont imparfaits et donc vraiment touchants ; au niveau du dessin qui est par moment sublime ; au niveau du scénario, qui est inégalable. C’est l’une des seules fois où l’on découvre, médusé, dans les dernières pages du dernier tome que tout ce que nous avons lu jusque là n’était pas le fruit du hasard, que tous les évènements ont des répercussions sur le reste. Il dispose d’une construction tellement diabolique que je suis tombé sous le charme, et que je me dis que c’est une performance hallucinante.
De plus, même s’il arrive très tardivement (la dernière planche du tome 5), la série dispose d’un des plus grands méchants de la bande-dessinée, ni plus ni moins.
C’est à essayer d’urgence, que ce soit dans la forme ou dans le fond, UW1 est exceptionnel, et tout bédéphile doit l’avoir eu au moins une fois dans les mains.
Et quand on sait que Bajram a depuis le début prévu de faire trois Universal War, de six tomes chacune, on ne peut pas s'empêcher de baver.