Depuis le temps que j'aurais dû le sortir, celui-là... Je me relirais plus tard pour les fautes. J'espère que je n'ai pas perdu la main !
Chapitre 13: La folie est une qualité tenace
-"Vivace est l'eau, attrapons son coeur! Meurt ou non, marche et crève, les tombes s'élèvent. Pain? Clou de pain?"
-"Qui êtes-vous?"
-"Poisson blanc strié d'aiguilles. Il n'a pas vu la couronne tomber au bas de ses étoiles! Mal de mer? Ne triche pas. La pomme croque le pinson, comme je ne dirais pas. Il faut sabler, il doit traire. Je jeux jean jar jaguar jarre!"
-"Je ne comprends pas, parlez moins fort!"
-"Vivace est l'eau, attrapons son coeur. Vivace est le coeur, l'eau marche mais ne crève pas. Tu n'es pas las, regarde-le en haut. Abeille, le coeur, de choux tout habillé. Melimelo d'épée drapé, une figeons malvenue dans le valse des hamsters. Les envahisseurs savent que l'heure est salée afin d'aluminium. Il est carré oursin ? Tu ne sais pas bramer comme la fourmi-lion."
-"Par pitié, je ne comprends absolument ri-
Fox sursauta, toussant violemment. Un songe. Cela n'avait été qu'un songe, qu'il oublia aussitôt dès que la douleur s'imposa à lui. Il avait encaissé un sacré choc. Chacun de ses muscles lui faisait souffrir le martyr, mais il eut le courage de se redresser sur ses coudes. Du sang maculait sa tignasse, ses mèches tirant désormais davantage sur le rouge que sur le roux. Il y avait à peine quelques instants, il était aux cotés de Basilisk. Que s'était-il passé? Il se souvenait d'avoir soudainement perdu pieds et de s'être enfoncé dans le sol. Le tunnel dans lequel il se trouvait était si colossal que le renard n'arrivait pas à en situer le plafond. Ses parois rocheuses montaient pour se perdre dans l'obscurité. Seul quelques lichens luminescents permettaient à Fox de voir où il avait atterrit. Il était seul. Désespérément seul.
Il fallut un long moment à Fox pour se ressaisir. Dépliant avec précaution ses membres contusionnés, il essaya de se mettre debout. D'abord chancelant, après maints efforts, il se stabilisa. Ses vêtements étaient fichus, déchirés et tâchés - de sang, de sable et de poussière -. Les petits êtres sans visages seraient probablement furieux de voir ce qu'il avait fait de leur travail acharné. Fox respirait mieux, maintenant qu'il avait décidée de se bouger. Il avait toujours en tête sa mission, qui était de se rendre à Bramme. Philip lui faisait confiance. Sa parole pesait lourd, sur ses frêles épaules, mais il était décidé à en être digne. Il se dirigea vers la lame-papillon et la fixa à son poignet, non sans remarquer au passage de minuscules traces de dent sur l'acier.
-"Cet endroit ne me dit rien qui vaille..." murmura le renard.
Définitivement. Une sensation étrange flottait dans l'air, caressant insidieusement l'esprit du jeune homme. Sa peau luisait faiblement, rougeâtre. C'était le signe que son Rouge de la Citadelle était sur ses gardes. Fox n'avait aucune envie d'errer dans ce sinistre tunnel. Pourtant, il n'avait pas le choix. Il devrait se préparer à affronter ce qui lui tomberait bientôt dessus, peu importe la nature de la menace. C'était un piètre combattant, mais il était décidé à lutter pour sa survie et pour celle de ses compagnons. Bramme était peut-être au bout du long chemin obscur qui s'offrait à lui.
Fox ne s'attarda pas à l'endroit de sa chute. Il avait suffisamment récupéré ses forces et il n'avait pas de temps à perdre. Prudemment, il s'avança dans les ténèbres, après avoir arraché plusieurs lianes d'une plante luminescente. Ses yeux s'accoutumaient à la pénombre au fur et mesure qu'il s'enfonçait dans les profondeurs de la terre. Parfois, il voyait quelques ombres furtives se faufiler entre les entrelacs rocheux, petits animaux inoffensifs. Ce qu'il ne pouvait pas voir, ou plutôt, ce qu'il se refusait à observer, c'étaient les longues traînées de sang qui couvraient certaines parois. Elles dessinaient des gribouillis hasardeux, impossibles à déchiffrer.
-"Reste calme, Foxy. Pense... pense à tes... tes amis."
Oui, ses amis. Ceux qu'il connaissait depuis si peu de temps. Il ignorait si il méritait de les appeler ainsi, mais c'était clairement ce qu'il ressentait. C'était la deuxième fois depuis sa "naissance" que le renard était confronté à la sordide solitude d'une geôle de pierre, et il regrettait sincèrement la présence de ses compagnons. Maintenant qu'il avait goûté à la camaraderie, aux conversations dérisoires, aux paroles chaleureuses, à la simplicité de l'amitié, il ne voulait plus s'en défaire. Il finirait par devenir fou, tout seul, dans le noir. Fox avait terriblement besoin des autres, tout comme il voulait les protéger eux aussi. Stallion était toujours là, dehors, à pourchasser ceux qu'il considérait comme faibles. Il devait mettre un terme à sa tyrannie, à toute la douleur qu'il a répandue dans ce désert...
Quelques heures plus tard, Fox se sentit faiblir. Le manque de nourriture et ses blessures frappaient cruellement son corps, tandis que le rouge de la citadelle faisait de son mieux pour atténuer les dégâts. Mais ce n'était pas du violet à la mélodie. Il ne pourrait pas se soigner ainsi ! Si il n'échappait pas très bientôt à ce dédale sombre, le jeune novice périrait à petits feux. Il lorgna un furet noir, qui s'aventurait hors d'un interstice pour renifler ses pieds, mais la bestiole retourna bien vite dans son refuge, alertée par le regard affamé de l'intrus. Fox soupira. Ce n'était pas dans une telle situation qu'il apprendrait à chasser efficacement. Il reprit sa route tortueuse, suivant toujours le même tunnel interminable, qui descendait, tournait, montait, zigzaguait, se tordait dans tous les sens.
- "... Philip. J'en peux plus. Je ne peux pas le faire. Je n'y arriverais pas." haleta-t-il enfin, alors que l'air se rarérifiait. Combien de temps s'était-il écoulé ? Des heures, des jours ? Il se plia en deux, en sueurs, pris de panique : "Je vais mourir ici. Je ne sortirais jamais de cet endroit. Philip, j'ai échoué..."
Les membres tremblotants, Fox n'eut d'autres choix que de faire une énième halte, enfouissant son visage trempé dans ses haillons. Il était perdu dans les entrailles d'un monde hostile, avec pour seule compagnie des boules de poils d'ébènes, piégé dans un couloir qui devenait de plus en plus gelé. Le renard était réellement désemparé, accablé de tristesse.
-"Vous m'avez fait confiance, et pour quoi ? Pourquoi ?..."
Une neige drue couvrait les pierres, un vent glacial vint souffler dans ses cheveux roux.
-"Je ne suis pas Beetle. Je NE SUIS PAS THOMAS !!! Ce n'est pas moi, le parfait chevalier. Vous auriez dû choisir quelqu'un d'autre. Moi ? Je vais simplement crever ici, comme un imbécile."
Il se redressa, pris d'un sursaut de rage, pataugeant dans quelques mètres de poudreuse et prenant appui sur un arbre au tronc de diamant. Haut dans le ciel gigantesque, traversé par une éternelle pluie de flocons, un oiseau cria sa mélodie. Les prédateurs pullulaient, mais aucun n'osait s'approcher suffisamment près de l'artiste, terrifiés à l'idée qu'il puisse les réduire en poussière.
-"... Mais qu'est-ce qui vous a pris ?" hurla-t-il, sa voix se répercutant dans la plaine. "Vous pensiez sérieusement que j'y arriverais !!! C'est pas croyable, espèce de grand brûlé sénile ! Illuminé de piaf !! Vous vous êtes bien amusé ? J'en ai marre !!"
Puis, Fox se rendit compte du froid qui lui mordait les joues. De l'épaisse cape hivernale qui drapait ses épaules. Des lunettes aux verres colorés qu'il portait, aiguisant sa vue. De la faune qui s'ébattait au loin, allant du requin des neiges à d'immenses créatures semblables à des tours d'ivoires. Il était debout dans un hiver flamboyant et magnifique, à l'orée d'une petite forêt de diamant, très peu fournie. En regardant ses mains, il découvrit des mains d'homme, expertes, endurcies. Une lame-papillon encore plus redoutable et décorée que l'originale ornait son bras droit. Fox était médusé, complètement sonné. Que faisait-il ici, déjà ?
-"Tintamarre, gâteau cimenté de lézards, vite traçons dément car dans tes dents revoir d'argent d'ortie malaxée !!"
Le Renard se retourna. Personne. Il lui avait semblé entendre quelque-chose, de très ténu. Quelque-chose qui n'appartenait pas à ces lieux. Il se souvenait, à présent. Il était le Renard Rouge, soldat intrépide de la citadelle Cursamande, en mission sur la Route du Nord. Soudain, un autre artiste vint à sa rencontre, soulevant joyeusement un nuage de neige dans son sillage. Il traînait négligemment une énorme hache de guerre, comme un enfant traînerait son doudou.
-"Hey, Foxy ! On rêvasse, mon pote ? Viens, le boss attends son rapport, et même si j'apprécie pas trop la paperasse, on va se faire passer un savon si on rentre en retard."
C'était Beetle, toujours avec son vieux foulard, constellé de cicatrices en tous genres. Fox fit un pas en avant vers son meilleur ami, prêt à le suivre jusqu'à la citadelle, mais s'arrêta net. Il ouvrit la bouche pour parler, mais se souvint qu'il avait perdu sa langue contre un alpha. Beetle fronça les sourcils brièvement, puis afficha un grand sourire :
-"On dirait que tu n'as pas l'air dans ton assiette. Tu t'es encore fâché avec Vipera ?"
Fox voulut à nouveau parler, sans succès. Tout cela devenait étrange. Le paysage, Beetle l'adolescent devenu adulte, son propre corps... et l'air ambiant. Tout semblait si fragile, si léger. C'était comme si un voile diaphane était tombé sur le monde, tamisant la lumière et la vérité. Son interlocuteur ne perdait pas sa jovialité à toute épreuve.
-"Tu pourrais au moins me faire un signe, mon pote ! Tu sais, j'ai fais de gros efforts pour apprendre le langage, alors il faut bien que cela serve à quelque-chose !!"
-"Beetle, Fox, vous venez ?" fit un voix féminine.
A cet instant, la Route du Nord et tous les souvenirs qu'il avait de cet endroit volèrent en éclats. Très calmement, Fox prit une grande goulée d'air. Il fit abstraction de la neige et des deux personnages qui s'approchaient de lui, visiblement inquiets de son comportement. Il oublia ce qu'il venait de voir : ce ne pouvait pas être vrai. Il avait cru tout ce que lui avait offert cette illusion, mais il ne pouvait pas avaler une telle image. C'était trop important, trop profond. Fox sentit que l'air froid vibrait, se contractait.
-"Youplà ! Jockey est vitalité du coeur de dans le mou de la vallée frites ! Vivace est l'eau, coeur n'est pas clair. Brise ! Coeur ! Votons ! Coeur ! Papillon ! COEUR, COEUR, COEUR, COEUR !!!"
Un son dément vint tambouriner à ses oreilles. Une voix qui s'amplifiait à chaque seconde, à chaque minute, qui l'aidait à reprendre conscience et pieds dans la réalité. L'air revint s'engouffrer dans ses poumons, la température redevint étouffante et les illusions cessèrent de lui susurrer des mensonges. Il put enfin pleinement profiter de la vraie réalité : il se trouvait dans la grotte où il avait fait sa chute. Elle était éclairée par d'étranges plantes, des sortes de lys, faisant office de lampes. Devant le roux, quelqu'un avait déposé des cubes de viande, un fruit vert et un bol d'eau. Il prit le temps de regarder son reflet avant de toucher aux aliments, ignorant son ventre affamé. Aucune lueur rouge ne l'animait. Il était en sécurité.
Fox n'hésita donc pas à se jeter sur la nourriture. Il ne mit que quelques instants à dévorer le tout, suivi de quelques goulées d'eau. Pendant qu'il mangeait, un homme était entré dans la grotte. Démesurément grand et décharné, l'individu était vêtu de grandes loques tâchées de rouilles, couronné d'une hirsute chevelure noirâtre. Quelques furets grimpaient sur lui, se lovant sur son cou, sa nuque, le sommet de sa tête, ou encore ses pieds. Il semblait amical, souriant comme un benêt, alors Fox se refusa à fuir son bienfaiteur. Une fois son repas terminé, il attendit, assis en tailleurs. L'homme s'approcha timidement. Il avançait d'une drôle de manière, par saccades, et son visage hésitait à présent entre l'immense sourire et la moue boudeuse.
-"Cailloux timbres ?" demanda-t-il, d'une belle voix très raisonnée en apparence. Une lueur de folie dansait dans son regard, et il pencha la tête, curieux.
-"Je... suis Fox. Merci pour le repas, vous m'avez sauvé la vie."
-"La tresse du cochon s'envole dans l'idée d'appareiller au rat d'y faisan et marteau de la motte-pâté." répondit le décharné, ajoutant après un moment d'hésitation: "Cailloux timbres."
-"Caill...oux timbres ?"
-"Cailloux timbres."
-"C'est votre nom ?"
-"Vivace est l'eau, attrapons son coeur. Grignote le chagrin, barbe en vue ! Il danse creux, doux poisson."
Fox n'y comprenait décidément rien. Et le fait que l'homme se mit soudainement à danser en lâchant des borborygmes incompréhensibles ajouta à sa confusion. Avait-il quitté une illusion pour une autre mascarade ? Quoi qu'il en était, cette grotte lui paraissait maudite. C'était à croire que la folie s'était réfugiée en ces lieux, pour jouer des tours aux voyageurs. Qui était cet individu ? Il paraissait humain, c'était donc un artiste, si l'on se basait sur les dires de Shark. Fox ne se souvenait pas l'avoir aperçu pendant les épreuves de l'Arène, ni où que ce soit, donc c'était forcément un guerrier d'une génération précédente. Sauf que... Il ne ressemblait pas du tout au colossal Shark ou à l'impassible Philip. Eux, cela se voyait clairement qu'ils avaient survécu à de nombreux dangers, pendant d'impressionnants voyages à travers le monde. Mais cet homme-là était tel un oisillon. Fox finit par entrevoir une possibilité. Maintenant qu'il était plus calme, ses pensées devenaient claires comme de l'eau pure. L'espoir revenait, et réfléchir l'aidait à se prouver qu'il était encore en vie, qu'il y avait encore une chance qu'il atteigne Bramme et les préviennent. Ils doivent savoir qu'un Alpha parmi les Alphas existe. C'est capital.
-"Je ne vous comprends pas, je suis désolé. Mais je pense deviner d'où vous venez. Vous étiez un novice, comme moi, n'est-ce pas ? Mais vous êtes tombé ici, privé de vos compagnons, coupé du monde, seul. On a assumé que vous étiez mort, mais depuis tout ce temps, vous étiez là. Et je suppose que cela a dû porter un coup à votre esprit..."
Fox trouvait cela déchirant. Il allait finir comme ce pauvre bougre, si il ne trouvait pas rapidement une sortie. Mais depuis le temps que l'homme était là, il avait probablement eu la possibilité de chercher encore et encore pour dénicher la voie vers la liberté. On ne devenait pas fou en quelques semaines, à la connaissance du renard. Le décharné finit par arrêter de danser. Il vint prendre Fox par le bras, répétant encore une fois sa phrase favorite : "Cailloux timbres". Le jeune homme n'eut d'autres choix que de se lever et de le suivre, tandis qu'il le tirait en direction d'un passage étroit.
-"Je peux vous appeler Cailloux Timbres, alors ?" dit-il alors qu'ils cheminaient à la lueur des étranges fleurs-lampes. Il parlait plus pour se rassurer que pour autre chose, puisque l'homme ne le comprenait visiblement pas, et vice-versa. A sa grande surprise, son guide fit volte-face et eut une grimace.
-"Magie !! Cailloux timbres des fissures paillotes ôtant la sirène, coeur rit, ne mets pas la charrue avant Ulysse qui heureux d'apprendre thé vu fraise. Magie, Chut."
-"Magie ?"
-"Fox ?"
Le renard eut un rire de soulagement, aussitôt imité par un gloussement nerveux de la part de Magie. Il y avait peut-être un moyen pour qu'ils se comprennent, au final. L'homme solitaire reprit sa route, non sans avoir tiré les joues de Fox au préalable. Plus ils progressaient dans les entrailles du monde, plus l'air se tordait et s'épaississait. Fox reconnut les symptômes qui avaient accompagnés l'illusion précédente, mais quand il essaya de prévenir Magie, ce dernier avait disparu. A la place, deux grandes portes en bois, ouvertes. Il s'y engouffra avec appréhension, débouchant sur un vaste hall, réchauffé par des dizaines de cheminées. Tout le monde était là, tout le monde l'attendait.
Fox se souvint. Aujourd'hui, il y avait une fête grandiose, où tout les novices étaient invités ! Il reconnut, parmi la foule, le vieux Ara, le ténébreux Stallion, l'imperturbable Thomas Adams, Reality l'angoissée, le prudent Glass, le coloré Puzzle, et bien d'autres. Ils étaient tous là, tous heureux, tous en parfaite santé, s'amusant et discutant dans la bonne humeur générale. Beetle vint à sa rencontre, suivie de Vipera et de Philip. Celui-ci lui tapota l'épaule et le félicita pour avoir accompli ce qu'il attendait de lui : désormais, ils étaient tous réunis. Le renard pouvait se détendre, se reposer, et profiter pour l'éternité des bienfaits de ce hall chaleureux. Fox était satisfait. Si tout le monde restait ici, plus personne ne serait blessé, plus personne n'aurait à mourir. Il pouvait doucement laisser ses inquiétudes s'abîmer dans l'océan. Il n'aurait plus personne à protéger.
Vipera, aussi belle que lorsqu'il l'avait quitté, l'enlaça, enfouissant sa tête au creux de son cou. Il sentit ses cheveux blonds comme un champs de blés en été chatouiller sa peau. Elle était là, tout contre lui. Il n'aurait plus jamais à se soucier de sa sécurité. Ils étaient tous à l'abri, pour toujours. La jeune femme porta ses lèvres juste à son oreille, désirant lui glisser quelques mots :
-"L'eau est vivace, attrapons le coeur."
-"Pardon ? Je ne comprends pas...?"
-"L'eau est vivace, BRISONS LE COEUR !!!" hurla-t-elle soudainement, sa voix se modulant, passant d'aigu à grave, de profond à haut perché. "Fox, coeur."
Elle répéta de nombreuses fois ces deux mots, insistant sur chacun d'entre eux. Son corps se couvrait de plaies, qui saignaient abondamment, et déchiraient sa peau si douce. Ses cheveux blanchirent. Fox voulut crier de terreur, mais elle plaqua une main éventrée sur sa bouche, un fleuve de sang coulant le long de son torse. Puis, enfin, lorsqu'elle se détacha de lui, ne l'enlaçant plus, son image s'effaça, le sang disparut comme un mauvais rêve, et il vit qu'il s'agissait de Magie. Son guide était saisi de tremblements, mais ricanait également, pareil à une hyène secouée par l'asthme. Fox reprit conscience de ce qui l'entourait : les deux égarés étaient encore dans l'étroit passage. Rien de ce qu'il avait vu auparavant n'était réel. Une larme coula sur sa joue. Qui donc osait triturer ainsi son esprit ? Qui était assez cruel pour le perdre dans de confortables mirages ? Magie déplia un doigt aussi long que maigre, cueillant la larme, puis l'étalant sur sa propre joue. Il décocha au renard un petit sourire tout fier.
-"Merci, Magie. Je sais que c'est grâce à toi que j'échappe à cette... ce... ces illusions. Merci du fond du coeur."
-"Coeur ? COEUR !!!"
La mention d'un coeur exalta aussitôt la grande perche, qui détala dans le dédale de pierre, bondissant sur les reliefs rocheux. Fox, son énergie ayant eu le temps de revenir, ne perdit pas une seule seconde à réfléchir sur ce qui venait de se passer, et se précipita à sa suite, prenant bien garde à ne pas se fouler la cheville sur le chemin traître. Magie était très rapide, malgré sa façon étrange de se déplacer. Les furets noirs qu'il transportait fuirent soudainement, disparaissant entre quelques fissures. Le couloir naturel rétrécissait, il devint de plus en plus difficile pour Fox d'avancer. C'était impressionnant qu'un homme aussi grand que Magie puisse se glisser dans ce passage.
-"Où est-ce qu'il m'emmène ?..." murmura le renard.
Puis, brusquement, Fox tomba. Il n'avait pas vu que le couloir se terminait là, sur un trou grossier, et sa chute fut brève. Il s'étala de tout son long dans un liquide vaseux, qui couvrait le sol d'une vaste pièce. Le jeune homme était dégoulinant, visqueux, mais après avoir essuyé un peu son visage, il aperçut Magie, debout, très silencieux, observant religieusement l'énorme chose qui trônait là, obstruant tout le champs de vision des deux égarés. C'était un... coeur. Un grand organe gluant, couleur rubis, dont chaque battement faisait trembler la surface du liquide. Horrifié, Fox vit deux paupières fermées, au milieu de la monstruosité. C'était un prédateur. Un prédateur endormi, mais un prédateur tout de même. Cela devait être lui, la cause de toutes ces illusions. Une odeur exquise emplissait les lieux, un parfum de rêves et d'espoir.
-"Alors c'est lui, le coeur..."
-"Vivace est l'eau, brise-coeur mâchons des rois siffleurs sans carton plein." chuchota Magie.
En le rejoignant, Fox buta contre quelque-chose, sous la surface du liquide. Des ossements. Tout s'expliquait. Le renard, dans un rage tranquille, serra les poings en s'en faire saigner les paumes. Cette créature se nourrissait de l'esprit de ses victimes, les laissant s'égarer dans ses illusions, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Ils venaient tous ici, pour que le coeur leur arrache leur dernière lueur de vie, puis ils s'effondraient dans ce liquide répugnant, livrés à la décomposition. Magie avait survécu à ce sort affreux, mais seulement grâce à une seule chose. Fox s'était trompé sur toute la ligne : Magie n'était pas devenu fou en errant dans ces tunnels. Magie était déjà fou avant d’atterrir ici. Sa folie l'avait préservé, l'avait empêché de céder face aux illusions. Il n'était peut-être pas réellement fou, mais sa façon de penser est fondamentalement différente du commun des mortels.
-"Vivace est le coeur, l'eau marche mais ne crève pas. Fox, Magie. Crève-coeur, tutu paon d'aluminium."
-"Je comprends, Magie." dit Fox, sans regarder le pauvre hère, qui attendait depuis si longtemps que quelqu'un fasse ce qu'il était incapable de faire.
Décidé, le jeune homme se plaça devant le coeur gigantesque, sa lame-papillon dans une main. Avec un dernier regard pour son compagnon d'infortune, il leva son arme. Son esprit se brouilla de nouveau, Vipera et Beetle apparaissant pour une énième fois, derrière lui, devant la sortie qui venait d'être pratiquée. Ils l'attendaient, pour de vrai, cette fois. Si il ne se dépêchait pas, la sortie se refermerait pour toujours. Il n'aurait pas de seconde chance. Ses amis encourageaient Fox pour qu'il les rejoignent. Mais le roux secoua la tête, des larmes cascadant sur son visage déterminé. Il ne devrait plus se bercer d'illusions. Son voyage commençait à peine. Il serait long, dur et éprouvant. Néanmoins, ce n'était pas une raison pour s'abandonner à la facilité et aux songes. Se réfugier dans une utopie était hors de question. Fox hurla pour se donner du courage et enfonça sa lame dans le coeur, celui-ci n'offrant aucune résistance. Il poignarda encore et encore le prédateur, inlassablement, perçant autant de petites ouvertures dans l'amas de chair rouge. Des geysers de liquide gluant jaillirent, mais il ne s'arrêtait pas.
Le coeur ouvrit ses deux yeux, poussant un cri mental assourdissant. Fox fouillait sa chair sans pitié. Il tailladait son chemin dans le coeur, indifférent au liquide dans lequel il se noyait, tandis que Magie dansait derrière lui sous la pluie macabre. Lorsque enfin il n'eut plus la force de lever sa lame pour l'abattre, le monstre agonisait et succomba à ses blessures dans un ultime soubresaut. Puis, tout disparut dans un océan visqueux. Fox se laissa porter par les courants, sa conscience noyée, ses poumons gorgés d'amertume. Il avait vaincu son premier prédateur, et peut-être son dernier.
[La suite dans le chapitre 14 : Les pleurs de Bramme]
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