Je vous remercie, messieurs !
Noctis > Le fait que j'expose les ressentis de chacun ? C'est à dire ? Peux-tu me pointer les passages concernés ?
En ce qui concerne les feuilletons, à toi de voir, Moon peut soit complètement délirer et raconter quelque-chose qui n'a aucun sens, ou bien la télé à été inventée plus tôt que prévu, ou bien faisait-il référence aux feuilletons dans les journaux de l'époque. Mystères !
Deuxième chapitre, le prochain sera soit un bonus soit le N°3. Je pencherais pour un bonus, étant donné la longueur de ce chapitre (qui est un des plus longs que j'ai écris jusqu'à présent).
Chapitre 2 : Le Casino
Si je le pouvais, je détruirais chaque miroir, chaque vitre. J'assécherais jusqu'à la plus petite flaque pour briser mon reflet. Autrui peut bien y déceler de la beauté, comment accepter de voir à travers des yeux étrangers ? Ma laideur triomphe de tout, elle m'entraîne dans les ténèbres, étouffe ma confiance et me
fait vaciller au bord des toits. J'ignore ce qui m'empêche d'accompagner la dame en noir, celle qui embrasse chaque être-vivant au soir de sa vie. Je grimperais en haut d'une tour battue par des vents cruels, ma dernière ascension. Au sommet, je glisserais, fendrait l'air et m'éparpillerait au sol, comme dans ce rêve si froid où le pont m'appelle et la peine me tire dans un gouffre infini.
Ce serait tellement simple. Et pourtant, si compliqué. Les étoiles me toisent depuis la noirceur du ciel. Il y a des astres qu'il me coûterait d'abandonner, aussi lointains soient-ils. J'ai déjà subtilisé bien trop de choses précieuses pour espérer me faire pardonner d'une si dramatique des manières.
Londres est éclaboussée de lueurs et de bruits, ville déchue. Il y a quelques années, les nuits étaient paisibles, et tous les peintres rivalisaient d'adresse pour retranscrire la magnificence d'une telle cité. A présent, c'était comme si l'Enfer avait avalé rond ces temps célébrés, cette époque où le progrès côtoyait le charme des vieux bâtiments. La ruine était descendue sur Londres : de nombreux monuments qui étaient pourtant parvenus à tenir debout des siècles gisaient en pièces dans la boue, des feux carnassiers croissaient oisivement ici et là, et nul silence ne tombait jamais sur l'amas urbain, constamment lacéré par les hululements des fous, les plaintes des faibles et le grouillement sinistre des rats, corbeaux et autres vermines.
Je longe plusieurs échoppes, toutes fermées. Certaines vitrines sont vides, vandalisées et pillées, tandis que d'autres disparaissent sous les affiches placardées par le gouvernement et incitant la population à demeurer chez eux. Des débris jonchent l'allée, sur un tapis royal de bouteilles, de vieux journaux et de crasse. Les lieux sont désertiques. Aucune âme ne se risque dehors après que la lune se soit montrée, et je soupçonne qu'il ne doit plus rester beaucoup de monde dans ces maisons. Il était avisé d'évacuer face à l'anarchie et le chaos, après tout. Des cris exprimant une joie malsaine parviennent à mes oreilles, très proches, peut-être un peu trop.
Rapidement, je me fonds dans une ruelle si étroite que mon menton frôle la pierre humide. S'approcher du centre de Londres était courir droit vers la gueule du loup, et j'en sentais la puanteur cadavérique, car l'animal n'avait pas nettoyé ses crocs meurtriers. Avec quelques efforts, je parvenais à m'accroupir dans l'espace minuscule, au milieu des toiles d'araignées et des rats curieux. La ville avait commencée à devenir folle deux mois auparavant, et depuis l'infection avait prise de l'ampleur. La situation ne pouvait pas être plus terrible. Plusieurs quartiers de Londres étaient encore sécurisés, patrouillé par les forces de la police déterminées à maintenir l'ordre, mais pour les autres, c'était la porte ouverte aux péchés capitaux. Les plus chanceux ne souffraient que de la dégradation et de quelques excès, comme celui dans lequel je me trouvais actuellement, néanmoins, l'Enfer reste l'Enfer, peu importe si les tortionnaires sont occupés ailleurs.
Au bout de longues minutes qui paraissent des heures, je m'extirpe de ma cachette. Les aboiements humains se sont éloignés. J'aurais pu emprunter le chemin des toits et voltiger jusqu'à notre destination sous le manteau protecteur des ténèbres, cependant, ce n'était plus le Londres que j'avais connu.
Ses hauteurs étaient mon royaume d'étoiles et d'adrénaline, un empire où se côtoyaient zéphyr et borée, une mer d'ardoises et de cheminées, il m'était si facile d'y nager. Pourtant, elles avaient changées. Mes colombes s'étaient envolées vers des cieux plus cléments. De plus en plus de ravins se creusaient, aidés par l'effondrement des bâtiments. Je ne redoutais pas la chute, puisque sans arrogance aucune j'étais une feuille, amant de la brise. Ma crainte résidait dans les caricatures d'êtres vivants qui rôdaient en meute. Elles étaient avides de pauvres hères à tourmenter, nombreuses et surtout expérimentées. En ce jour fatidique, le dédale des rues était plus sûr que mes toits adorés, de part sa nature labyrinthique et ses zones d'ombres.
Notre progression est lente, mais sûre. Je marche la plupart du temps, d'un pas léger, n'accélérant le rythme que si j'entends le glas chatouiller mes oreilles. Moon me presse silencieusement de sa conscience lourde et délirante. Sa soif d'exercice me submerge presque, mais je suis accoutumé à sentir l'odeur du sang qu'il désire voir couler. Il ne passera pas mes barrières. De l'autre côté, Full s'insurge devant mon détachement. Ses pensées luisent comme des chandelles trop vives, la cire me brûle les doigts. Lui, il voudrait s'arrêter toutes les rues pour ramasser une poupée, effacer un graffiti dégradant, se recueillir devant quelques corps inanimés, vérifier si ils sont encore en vie. Il jure avoir vu une demoiselle remuer faiblement lorsque nous sommes passés devant sa carcasse ensanglantée. Je ne rebrousse pas chemin. Il m'étouffe de culpabilité, mais il s'agit de la sienne. A l'inverse de mes deux frères d'âmes, l'objectif que nous nous sommes tracés ne quitte jamais mon esprit, je ne dévierais pas ma course pour des bagatelles. Accélérer nous mettrait tous en danger, de même que ralentir. C'est aussi simple que cela.
F : Tu n'as pas de cœur. Nous devrions au moins mettre leurs corps à l'abri, si nous ne pouvons pas leur offrir une sépulture décente !!
W : Mon cœur est si grand qu'il dépasse les frontières de ma raison, cher frère, sinon je ne serais guère ici. Cependant, mon organe n'est dédié qu'à une seule personne, sa souveraine légitime. Je te serais grès de te le rappeler.
F : Elle ne voudrait pas que -
W : Je me permet d'interrompre ta glorieuse habileté à déclamer des clichés romanesques, mais tu m'as dit être tout aussi impliqué que moi, tout à l'heure.
Donnerais-tu ta parole à la légère ?
F : Tu sais très bien que ce n'est pas -
W : Allons-y. Il ne fait pas bon de traîner par ici quand le soleil se lève.Mon frère n'insiste pas, je crois que mon comportement l'effraie légèrement. Il ignore jusqu'où je peux aller par passion. Pendant cet échange plutôt houleux, notre ténébreux benjamin n'a pipé mot, trop occupé à glisser des pulsions insidieuses dans ma boite aux lettres. Si il y a bien une chose que Moon prends au sérieux, ce serait celle-ci : fêler l'esprit d'autrui. Nous nous engageons toujours plus loin dans la gorge du monstre urbain.
Mon corps prends le pas sur ma pensée. Je ne réfléchis plus qu'à mes mouvements, concentré sur les mètres parcourus. Le décor évolue, les feux se multiplient, les barricades hétéroclites s'élèvent comme des châteaux de sables bâtis par quelques galopins. Parmi les meubles et autres babioles jetées en tas, le surplus de fer et d'acier en provenance des usines forment les bases d'une future forteresse. Des sentinelles par dizaines se pressent sur les parapets, les terrasses, les toits. Je me mêle parmi la foule muette qui s'agite mollement, des gens sans foyers, des parias trop faibles pour rejoindre la marmaille des démons mais trop souillés pour s'abriter ailleurs.
Ils avancent courbés pour mieux encaisser les coups que leurs décochent de temps à autre les maîtres des lieux. Ces malfrats sont des criminels de métiers pour une petite partie, néanmoins, une quantité non-négligeable est recrutée parmi les londoniens les plus agressifs ou touchés lourdement par l'Incident. Des hommes honnêtes rejoignent le marais du mal tous les jours, il ne faut guère se bercer d'héroïsme.
-"Dégagez le passage !!" postillonna un garde.
Aussitôt, la masse en haillons s'écarte. Des silhouettes filent se vautrer sur le trottoir ou dans des bâtiments délabrés. La calèche ne ralentit pas une seule seconde. Tirée par des étalons noirs lancés à toute allure, la voiture piétine un vieillard un peu trop lent et manque de déraper, mais négocie de justesse son virage. Le vent me fouette délicieusement le visage au moment où elle me frôle. Je n'ai pas pu apercevoir qui se tenait dans la cabine, mais cela devait être quelqu'un d'important. Les portes de la plus gigantesque des murailles s'ouvrent à l'aide d'un complexe système de levier et de poulie, puis se referment derrière la calèche en soulevant un peu de poussière.
M : Des dadas !!! Des dadas !!!
F : Quelle horreur... L'enthousiasme de Moon est presque attendrissant. Après m'être assuré que les gardes sont bel et bien en train de s'échanger des breuvages aux propriétés sûrement alcooliques, je me glisse dans une brèche béante de la barricade en longeant un mur de briques. Là, juste entre une voiture qui devait être flambant neuve il y a peu et un énorme four. L'espace me pousse à me contorsionner, mais c'est un jeu d'enfant. Cet obstacle est le dernier : derrière l'amas de bric-à-brac se trouve une avenue éclairée et animée. Au premier coup d’œil, je me rends compte qu'il me serait impossible de passer inaperçu par ici. Un simple voleur parmi la lie de l'humanité, cela se discernait comme un bouton sur la lèvre d'une courtisane.
…Je résiste à l'envie de me casser le nez, et par extension celui de mon voleur de frère. Walk mériterait de sérieuses réprimandes pour son attitude intolérable. Je ravale mon amertume, remet en place mon imperméable et traverse l'avenue en pestant contre l'injustice de ce monde. Par les chaussettes de Belphegor, cette nuit allait être corsée. J'allais avoir besoin d'une bonne bouteille de gin si je voulais tenir le coup. Ce qui m'indigne le plus, ce n'est pas le comportement profondément égoïste de mon frérot. C'est un hors-la-loi, il faut s'attendre à ce qu'il n'ait pas le même standard qu'un brillant inspecteur tel que votre serviteur. Non, ce qui me débecte, c'est sa nonchalance. Pour lui, il n'y aucun sacrifice, il est insensible à la douleur des autres. C'est même pas une histoire de priorité. Si il continue ainsi, il ne vaudra pas mieux que ce dégénéré de Moon.
L'endroit est une explosion constante de rires et d'infractions aux lois. Ça me chatouille de coffrer tout ce beau monde. Si je n'étais pas en sous-effectifs, c'est même ce que je ferais. C'est devenu comme un réflexe avec le temps, de passer les menottes aux vauriens. Le supplice de passer à côté d'un tel spectacle ravive ma vieille blessure à la poitrine. L'avenue se découpe en plusieurs "chemins" délimités par des monceaux d'ordures, et des étals de fortune s'alignent le long de ces talus.
C'est un marché noir improvisé. Entre deux poignées de mains, on s'échange des armes, des drogues, de la compagnie sulfureuse, des amis costauds, des informations juteuses, des bien dérobés, et même des animaux exotiques. Je demeure stoïque face aux commerçants qui me hèlent depuis leurs comptoirs, avides de mon argent. Des coupes-jarrets détroussent les badauds les moins menaçants. Ils me considèrent un instant de leurs petits yeux vicieux, mal rasés et empestant la vinasse, avant de détourner leurs vilaines bouilles. Je ne dois pas inspirer la vulnérabilité, et c'est tant mieux ! Qu'ils osent venir me casser les noisettes, je ne suis pas d'humeur.
Ce monde ne m'est pas étranger. J'ai déjà vu pareilles scènes dans des lieux secrets, où l'illégalité était en vogue, mais jamais à une telle échelle. Que de tels délits puissent être considérés comme parfaitement normaux me dépasse.
Je repère notre destination, un ancien hôpital dorénavant investi par une de mes plus vieilles connaissances. Les murs saumons croulent sous les papiers placardés, pour la plupart des documents officiels top-secrets, de toutes les couleurs et de toutes les encres. Le genre d'informations qui n'auraient jamais dû être rendues publiques. Ils forment un patchwork coloré dont l'intérêt artistique est certain, il n'empêche que c'est de mauvais goût - et illicite, diantre !!! -. Des foules s'engouffrent ou émergent du bâtiment. Je gagne les premières marches menant au bâtiment avec la ferme intention de me mêler aux autres, quand je sens une petite main s'aventurer dans ma veste, sans doute à la recherche de mes possessions. Je pivote, attrape le bras maigrelet et soumet sans difficulté le garnement.
-"On ne t'as jamais appris que voler, c'est mal ?"
Mon sourire flamboyant de gentil flic s'éteint quand je pose le regard sur le pickpocket le plus pitoyable qu'il m'a jamais été donné de capturer. Habillé d'une tunique bien trop grande pour lui et d'un pantalon rapiécé à mains endroits, la petite chose doit à peine dépasser les sept ans. Ses yeux bruns sont vides de toute émotion. Il ne réagit pas. Je sens ses os sous ma main puissante, et il ne faut pas être devin pour comprendre que ce gamin crève la faim depuis des mois. Il est tellement minuscule que je pourrais le tuer juste en le bousculant.
-"Un problème, m'sieur ?" m'interpelle de loin un gaillard.
Son attirail de boucher et le fusil glissé en bandoulière m'indiquent qu'il doit appartenir à une sorte de milice criminelle. Pas de tatouages apparent signifiant son allégeance à un gang connu, ni de bijoux symboliques. Je remarque alors une chevalière d'or ovale, ornée d'une salamandre couronnée de lauriers, passée à son index gauche. Ça me fait l'effet d'un uppercut.
W : Elle n'est pas à lui. Le véritable propriétaire la porterait à l'auriculaire, comme tout bon gentleman.
F : Je sais... Ces armoiries sont celles de la maison Saber.
F : ...
M : Sa bière ? La bière de qui ?
W : Saber, Moon. Le nom de notre famille. J'ai tout fait pour reléguer aux oubliettes de ma mémoire tout ce qui avait le moindre lien avec père, hormis ce maudit nom.
F : Le vaurien a dû piller le manoir avec ses complices. C'est la seule explication !!! Il doit être un des privilégiés, si on l'a autorisé à conserver son butin.
M : Oh oh, faux ! Il y a une autre explication, mon lapin ♥ Si c'est la bague du vieux débris, il la portait sûrement au petit doigt avant qu'on le LUI COUPE !!! Son cadavre doit sagement pourrir dans les caniveaux, rends-toi à l'évidence.Je serre les poings. Du calme, mon vieux. Rappelle-toi l'académie. Il ne faut pas perdre ton sang-froid. Je me file une gifle mentale pour remettre mes idées en place - et soulager ma soif inappropriée de violence -, puis je tire par l'épaule le pickpocket qui reste aussi immobile qu'un pêcheur du dimanche face à la perspective d'une grosse prise. Ce damné de saloperie de foutu voleur s'approche, étonné par mon silence. Vite, agir naturellement. Ne pas lui montrer que j'ai une folle envie de lui coller une droite. Je lui offre le sourire le plus hypocrite de mon arsenal, une main gentiment posée sur la tête du garçonnet, une autre glissée dans mon manteau.
-"Mon gamin a peur de m'accompagner à l'intérieur. Je n'ai pas trop l'choix, les nounous sont rares par les temps qui court." je m'exclame en me forçant à rire de ma plaisanterie moisie.
Quelque part en échos dans mon crâne, Moon se bidonne. Le visage de mon interlocuteur s'éclaire d'un rictus à faire crier d'indignation une brosse à dent.
-"Ben alors ptit gars, faut pas flipper pour si peu, ils vont pas te manger au Casino."
Mon "fiston" ne réponds pas. Je le tire un peu plus contre moi, pour le protéger de ce charognard. Dans le même temps, j'essaie de froncer suffisamment les sourcils pour déformer mon visage. C'est un effort un peu inutile, mais dans la pénombre, n'importe qui pouvait passer pour un autre - de plus, le charbon appliqué pour effacer l'éclat verdâtre de ma tignasse aidait beaucoup -. J'étais l'un des inspecteurs les plus connus du pays avant tout ce merdier, ma figure vertueuse faisait la une des journaux à chaque arrestation et les trois-quart de la pègre m'appelaient par mon prénom. Je ne peux pas me faire repérer, pas encore. Si je me fais fusiller avant d'arriver devant le Courtier, c'est trop bête. C'est quoi, le secret de Walk et Moon pour ne jamais se faire reconnaître ? Je pointe du menton l'hôpital couvert de paperasse.
-"De Maluise se porte bien ?"
-"Les affaires fleurissent depuis que la ville est à nous. Mal' roule sur l'or, j'ai jamais vu l'Casino avec autant de monde ! Il est à l'intérieur. C'est lui qui a décidé de s'installer ici, et pas dans le Royal Exchange ou une de ces banques huppées de la Cité. Il aime la vue sur la Tamise, le bougre !"
-"Ah ah, il n'a pas changé."
Le Casino. Un nom simple pour couvrir l'une des opérations frauduleuses les plus lucratives au monde. Malgré mon flair légendaire, je n'ai jamais pu boucler complètement ce commerce, et ce n'est pas faute d'avoir essayé !! J'ai sacrifié mes nuits et mes jours à pourchasser inlassablement les membres du Casino, mais ce n'était que des coups dans l'eau. Le vrai cerveau du Casino ne restait jamais bien longtemps en prison.
Dès qu'il émergeait, un bâtiment quelque part dans Londres se mettait à grouiller de malfrats et s'incorporait au centre d'un immense réseau de corruption, de blanchissement d'argent et de falsification d'identités. C'était une foutue tumeur. A quoi bon tondre la pelouse si les mauvaises herbes vous rient au nez pour repousser quelques minutes plus tard ?
-"Vous êtes un ami de Mal', m'sieur ? Je m'appelle Slate, j'connais un peu l'Casino, je pourrais vous conduire à Mal'."
Le vouvoiement me rassure. Le dénommé Slate me prends pour un client de De Maluise, ce que je comptais bien entendu lui faire croire. L'homme traitait avec les chefs de gangs les plus influents du pays quotidiennement - excepté le dimanche, va savoir pourquoi, ce n'est pas moi qui prendrait un jour de congé ! -, il rencontrait la crème de la crème du grand gâteau périmé qu'était le crime organisé et insistait pour connaître le numéro de sécurité sociale de chaque individu bénéficiant du Casino, jusqu'au larbin le plus insignifiant. Maintenant que la civilisation londonienne s'était effondrée, il devait représenter le nerf financier du nouveau régime, ce qui signifiait traiter avec encore plus de gens. Je pouvais aisément me faire passer pour un privilégié du Courtier, surtout avec les informations obtenues de cette malheureuse taupe brutalisée par Moon.
-"Ca tombe bien ! De Maluise m'attends, j'suis Horace. Un envoyé de Flirt."
M : Bonjour Horace ! Moi, c'est Moon, mais tu peux m'appeler Moony. J'aime le sang fraîchement versé sur un trampoline, et toi ?
F : Par pitié, tais-toi ! J'essaie de me concentrer !!
W : Il n'a pas tort, tu es terriblement mauvais lorsqu'il s'agit de faire semblant. Il n'y a pas plus caricatural que la malfaisance résumée en un accent voyou et un regard de hibou enrhumé.
F : Parce que tu as déjà vu un hibou attraper un rhume ?
M : ATCHOUHOUHOUHOUHOUM !! ♥
F : Je te préviens que si ce bruit me reste dans la tête, je te -
M : - plante un couteau dans le menton ? Ce serait tellement sympa.
W : Il te collera plutôt un procès. Père pourra l'aider à réciter le festival de règles et de lois que nous avons transgressés, puis il nous mettra les menottes et avalera la clé, comme les ogres des contes pour enfants. A condition qu'il soit encore en vie pour nous condamner, n'est-ce pas ?
F : Qu'est-ce qui te prends tout à coup ??
W : Syndrome d’œdipe.
M : Je savais pas que t'avais une conjonctivite, Walkie. Tu veux en parler ? J'adooore découvrir tes points faibles, tu es si fragile !
F : Il y a d'autres moments et d'autres lieux pour ce genre de discussion. Ne perdons pas le contrôle de nos émotions, il faut être...-"Ravi de vous rencontrer, Slate. Vous ouvrez la marche ?"
-"Je voudrais bien, mais il m'faut une preuve que vous êtes bien qui vous z'êtes."
Pas bête, l'animal.
-"'ttendez une seconde, je dois avoir ça quelque-part..."
Sans plus prêter attention au comportement de plus en plus étrange de Walk, je tends à mon interlocuteur la carte récupérée un peu plus tôt dans la soirée dans les poches de celui dont j'empruntais le nom et l'identité. Douce ironie, je pratiquais le vol d'identité pour m'introduire dans un lieu renommé pour des combines du même genre.
Slate fit mine d'examiner le bout de plastique et les chiffres imprimés avant de me la rendre : pas de photos, mais c'était inutile, De Maluise accordait plus d'importance aux codes qu'aux visages. Tous ses larbins connaissaient les combinaisons les plus utiles mais seul ce bon vieux Mal' se souvenait avec exactitude de tous ces murs de chiffres. Le don de la mémoire photographique était gâché sur un type aussi pourri... Slate accepte donc de me conduire à travers les portes de l’hôpital, et je le suis en tenant la main squelettique de mon pickpocket. Je ne sais pas comment je vais faire pour lui épargner ce guêpier, mais c'est une complication de plus parmi un océan d'imprévus.
Pas de problème. J'ai l'habitude de travailler en impro totale.
Une fournaise monstrueuse règne dans le bâtiment - on a peur de geler en enfer, De Maluise ? -, suffisamment pour faire naître de la sueur sur mon front impeccable. Je n'y prête qu'une attention minime, trop occupé à prendre note de mes environs en cas de retraite anticipée. Des gorilles vérifient les identités des nouveaux arrivants et jettent dehors les indésirables, mais grâce à Slate, je n'ai pas à subir une deuxième fois ce contrôle. Mon guide me fait traverser un hall d'un blanc crème rappelant le nuage de lait sur la tasse de café qui doit m'attendre à la maison. Partout, des hommes et des femmes virevoltent. Ils chuchotent tous, le bouche-à-oreille se succédant de temps à autre aux grattouilles des plumes. Quel temple de la sainte délinquance ! Tous ces murmures sonnent comme autant d'incantations impies. Dans cette ambiance feutrée, je pourrais crier "vous êtes tous en état d'arrestation" du plus profond de mes puissants poumons. Qui m'en empêcherait ?
-"M'sieur Horace, nous y vlà presque. Les quartiers de Mal' sont au dernier étage !" me dit Slate.
L'escalier principal est flanqué de deux gars ayant visiblement dévalisés un musée ou un château, vêtus de pied en cap d'armures rutilantes. Leur attirail comprends des heaumes, des boucliers peints en rouge et des épées de fer qui doivent peser une tonne. Je déglutis. Ça ne me fait pas rire, ils ont l'air de savoir se servir de cet équipement poussiéreux. L'un des chevaliers tonne :
-"Qui va là ?"
-"Tu peux arrêter ton manège, Bob. On est potes, tu t'souviens ?"
-"Suffit, manant !! Qui va là ???" répète le valeureux Bob en redoublant d'agressivité.
Mon guide soupire. Ce ne doit pas être la première fois qu'ils ont une prise de bec au sujet de cette... désillusion. M'est avis qu'ils devraient aller se faire soigner. Je connaissais un très bel asile au service impeccable avant que Londres ne devienne un kiwi à moitié rongée par les vers : personnel aimable, sorties éducatives, chambres propres et cidre à volonté.
W : Je ne vois pas où est le mal, de vouloir revivre cette grande époque de courtoisie et d'aventures qu'était le moyen-âge des preux chevaliers.
F : Tu penses sérieusement que leurs grosses épées sont là pour faire minauder les donzelles et magiquement trousser les dragons ?
W : Bien sûr, cher frère.
F : Non, Walk, bien sûr que NON ! Elles sont là pour trancher, massacrer, concasser, tuer !! C'est un accoutrement barbare motivé par la folie sanguinaire !
M : Tu crois qu'ils vont s’apercevoir que tu as du sang sur tes bottes ? ♥Je baisse les yeux. Effectivement, à la lumière des lanternes voracement nourries de charbons, on voit avec netteté des tâches écarlates sur le cuir de mes bottes. Pourquoi ne m'en suis-je pas aperçu plus tôt ?? Quelle bourde de débutant !!! Nous n'avions pas nettoyé tout le sang qui avait giclé pendant l'interrogatoire, une partie nous avait échappée. Mais est-ce réellement un danger ? Après tout, la loi du plus fort était en vigueur, ici, on pouvait tuer impunément son prochain et s'engager dans des bagarres vicieuses. Ce ne serait pas incongru d'avoir un peu d'hémoglobine sur mes chaussures. Oui, je n'ai aucune raison de paniquer.
M : Sauf que tu-sais-qui est hémophoque, héhé.
W : Hémophobique, Moon.
M : C'est pareil. Il a peur des otaries.
F : Diantre. Tu as raison !!! J'avais complètement oublié.
M : Vrai de vrai ? Trop cool !! Tu passes enfin du côté obscur de la cuisine !!! Allons arracher des trachées pour fêter ça !!
F : Je suis sensé connaître ses habitudes, ce serait incroyablement suspect si je me ramenais chez lui tout en sachant qu'il est terrorisé par la vue du sang !!
W : Essuie-toi discrètement. Fait semblant de cirer tes chaussures pour les faire reluire !
F : Ils verront ce que j'essaie de faire.
W : Ta paranoïa est un tantinet exagérée, Full. Il y a trois gouttes, ce sera terminé en un tour de chiffon.
F : J'ai pas de mouchoir.
W : Mais quelle sorte d'être humain es-tu ??
M : Et les otaries dans tout ça ?
F : Oh, vous n'en avez pas non plus, alors faites pas les malins.
W : C'est TON imperméable, monseigneur l'inspecteur !!
F : Pourquoi diable aurais-je eu besoin d'un mouchoir ?? Je nettoie toujours mon arme de service au poste ou chez moi, et je ne suis jamais enrhumé.
W : Le privilège des crétins, ils n'attrapent jamais froid.Pendant que nous nous chamaillons, j'entends clairement Slate argumenter auprès des deux chevaliers et me mentionner. Leurs heaumes s'inclinent dans ma direction. Je ne laisse pas le temps à Bob de me jauger de la tête aux pieds comme ces hors-la-loi dans les mauvais westerns. J'accroche son regard terne derrière la visière en fer blanc et lui sourit :
-"Mon patron, Flirt, aimerait beaucoup s'entretenir avec le Courtier de sujets pressants, malheureusement, il est occupé ailleurs et c'est moi qu'il a choisi d'envoyer. J'suis en règles, vous pouvez vérifier, De Maluise m'attends, nous avons rendez-vous."
-"Si tu mens, pendard, ta langue sera tranchée !" rugit Bob.
-"Et Mal' écrira ton épitaphe dessus." ajoute le deuxième cinglé jusque-là muet.
J'ai peine à y croire. Il ne serait pas fichu d'ordonner la mise à mort d'un moustique, alors la mienne ? Non, en général, ce sont les potes de De Maluise qui se chargent de liquider ses petits soucis sans son avis. Je ne dois pas m'arrêter en si bon chemin, il faut continuer à retenir leur attention.
-"Naturellement. J'ai hâte de le revoir, nous avons beaucoup à nous dire. Des informations croustillantes sont en jeu."
-"Patientez avec la plèbe sans faire de bruit, nous informerons notre suzerain de votre présence. Les étages ne sont accessibles qu'à ceux qui ont de quoi parier et entourlouper, nous ne pouvons nous baser seulement sur vos dires, mécréant. Un page viendra procéder à une vérification."
-"Pas question !! C'est vraiment très important, les gars !!"
-"Vous ne passerez pas."
-"D'accord, comme vous voulez, j'veillerais à ce que Flirt et le Courtier en entendent parler, après tout, c'est pas comme si les secrets de Marco étaient révélés tous les jours..."
Je fais semblant de piquer une crise - comme Moon quand on lui refuse d'aller démembrer un voisin - et tourne les talons dans un grand mouvement, me dirigeant vers le hall d'entrée et le guéridon où est miraculeusement posé un verre de fleurs, à quelques pas de là. J'ai conscience de ressembler à un grand gamin de 24 ans, mais c'est calculé. Je me suis trop souvent aperçu dans mon métier que le meilleur appât était le plus simple.
-"Attendez !" me hèle Bob.
Bingo. Je me retourne brusquement, et d'un coup d'épaule maladroitement prévu, je fracasse le vase. L'eau éclabousse le bas de mon pantalon et mes bottes : je me précipite pour ramasser les éclats en criant des excuses, frottant en cachette le cuir.
W : Je vois. C'est indiscutablement plus discret comme technique. J'y penserais la prochaine fois que je cambriolerais une banque.
F : Je te remerc- attends, c'était un sarcasme, c'est ça ?
W : Tout juste. Tu apprends vite !Une fois mon nettoyage terminé, Bob m'indique d'un mouvement de tête les marches.
-"Ne me faites pas regretter ce geste ! Notre suzerain est au premier étage. Surveillez vos manières et évitez de casser d'autres objets de valeurs !!"
Guilleret, je grimpe quatre à quatre les marches, toujours flanqué de mon pickpocket. Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir en faire ? Slate reste aux bas de l'escalier, arrêté par les deux chevaliers qui refusent de commettre une autre entorse au règlement. J'abandonne à regrets la chevalière qui me revient de droit, mais je ne l'oublie pas pour autant. Je reviendrais la chercher et tirer les vers du nez de ce foutu voleur. On en a pas terminé.
Le premier étage est méconnaissable. Je m'étais déjà rendu dans cet hôpital pour un contrôle de routine, c'était l'un des établissements les plus réputés de la ville. A présent, au lieu de sauver des vies, il les ruinait. Les couloirs sont décorés de tapisseries époustouflantes, sur lesquelles s'étalent des scènes historiques et venues d'un autre temps. J'émets un grognement dédaigneux. Toutes des répliques extrêmement bonnes. Les vraies tapisseries, celles qui valent des millions, doivent orner les bureaux des patrons du crime.
Chaque porte est gravée d'un numéro et d'une inscription fantaisiste : "Antre du Bonheur", "Salle des Surprises", "Palais du Jeton d'Or"... Moon glapit face à celle qui indique "Sanglante Boucherie". Il sait lire quand ça l'arrange, lui. Je trouve notre homme dans une vaste pièce sans portes, probablement un ancien réfectoire.
De Maluise est entouré d'une foule d'admirateurs qui se pressent comme des damnés citrons autour de son costume sophistiqué d'aristocrate. Des tables sont dressées, mais couvertes de vasques circulaires, dont les contours sont imprimées de lettres étranges. De temps à autre, un homme habillé de fanfreluches laisse tomber une bille dans un de ces récipients. Chaque fois que la bille s'arrête, les spectateurs hurlent de joie ou de tristesse. Je suis tombé sur l'étage où le Casino mettait en jeu des secrets et des connaissances. Une fois, j'avais réussi à m'infiltrer et à décrocher le secret le plus précieux du Courtier par la chance pure. Ça m'a été décisivement utile par la suite, et ça pouvait encore l'être. Alors que je m'approche de l'attroupement, deux gardes me saisissent par le bras et écartent sans ménagement l'enfant que je traînais.
Bon sang. C'est trop tôt.
Je ne résiste pas tandis qu'ils m'empoignent et me fouillent. Ils trouvent mon flingue, mon briquet, la carte d'Horace et les quelques six couteaux de Moon, mais les crochets et la lime de Walk passent inaperçu, trop bien dissimulés. La foule se disperse et bientôt le réfectoire devient désert, il ne reste plus que moi et De Maluise - et l'enfant maigrelet, recroquevillé dans un coin, ignoré de tous -.
W : Et douze gardes armés jusqu'aux dents.
F : C'est un détail.
M : Des marionnettes. Tout plein de marionnettes. Rien que pour mwa !!
F : Promis, Moon, si il y a du grabuge, ils sont à toi.-"Bonjour, Full ! Cela faisait longtemps."
Je souris bien malgré moi.
William Feros de Maluise, le Courtier, le Sang-Bleu, l'Homme du Casino. Né à Londres, fils illégitime d'un lord, bien éduqué, pourri jusqu'à la moelle. Pas de casier judiciaire officiel, en dépit de 27 arrestations et 18 incarcérations. C'est trop aisé à effacer pour un génie maléfique de sa trempe. En revanche, son dossier officieux figure bien à l'abri derrière une latte de mon plancher, une copie est même déposée dans un coffre-fort dont je suis le propriétaire exclusif, au-delà des mers.
De Maluise est la menace N°1, devant des saligauds comme Simili ou Marco. Jamais coupable du moindre meurtre direct ou indirect, passif ou non. Alors pourquoi est-il tout en haut de la liste ?? Pourquoi un individu qui n'avait jamais tué ou torturé quiconque devançait la ribambelle d'enflures sans cœurs aux méfaits tous plus abominables les uns que les autres ?
-"Tu es bien silencieux, aujourd'hui. Tu es surpris de t'être fait avoir avant même que je pose les yeux sur toi, peut-être ? Mes gardes ont appris par cœur les portraits-robots de toutes les personnes en mesure de représenter une menace pour moi. Et puis, sérieusement, plus de la moitié d'entre eux te connaissent déjà, Full. Te teindre les cheveux n'est qu'un piètre subterfuge."
Il s'approche, mais reste à bonne distance.
Voici l'homme le plus dangereux de Londres. Il peut détruire toute trace sociale d'un individu sans effort, rogner une identité, faire disparaître des comptes en banques et des contrats, les manipuler à son avantage. Personne n'était à l'abri du Courtier. Un salaire pouvait s'étioler sous ses doigts habiles, une entreprise faire faillite. Un type louche pouvait endosser la peau d'un type bien, comme par magie. Il jonglait avec les vies mieux que le Diable lui-même. Maître de la psychologie et de la diction, De Maluise passait inaperçu partout où il allait. Il se fondait dans son décor, aussi rodé qu'un caméléon de cirque. C'était devenu le consultant financier à plein temps de tous les escrocs notoires.
F : Bien. Vous êtes prêts ?
W : A ton signal.
M : Rogeeer. Je sais pas qui c'est, Roger, mais c'est mon nouveau copain. Désolé, Barnabé, je te quitte. Non, ne dis rien. Je sais, ce sera dur, mais on va y arriver. Je t'enverrais des orteils séchés tous les jours, tu me toqueras sur la boîte crânienne de moins en moins, et puis, boum, la rupture, le génocide, la race humaine sera raillée de la carte. Vilaine tâche de café, de la poudre tu retourneras à la poudre !
F : Parfois, tu m'impressionnes par ta capacité à débiter des monceaux d'insanités sans aucun sens. Parfois. J'insiste. Walk, c'est à toi dans quelques minutes. Je pousse un soupir.
-"Où sont mes bonnes manières ? Je pense pas être ravi de te revoir, De Maluise, mais je suis pas ici pour te coffrer, t'inquiètes pas."
-"Évidemment, puisque tu es maîtrisé." dit-il calmement. Il penche la tête sur le côté. Un de ses tics favoris. "Marco a insisté pour remplacer les anciens gardes, trop fragiles à son goût, considérant la façon dont tu les as amochés la dernière fois. Ce sont des professionnels, cette fois."
A sa grimace, je devine qu'il partage mon idée du mot professionnel et que ça ne lui fait pas plaisir de se coltiner des meurtriers. Difficile de sympathiser avec quelqu'un capable d'enlever tout à un être humain et de le laisser mourir dans la pauvreté sur un trottoir mal-famé. Commettre un crime ne se limite pas à tuer. De Maluise passerait l'éternité en prison si on additionnait toutes les fraudes qu'il a orchestré au nez et à la barbe de la société.
-"Mais je suis curieux de connaître le motif de ta présence ici, mon cher Full."
Allons droit au but. Il pourrait discuter avec moi pendant des heures, je le connais, il est presque trop aimable, mais nous n'avons pas de temps à perdre.
-"Je te le demanderais gentiment : où est-elle ?"
-"Qui cela ? Il va falloir être plus précis. Tu veux du thé, peut-être ? J'en fais importer des Indes. Je suis presque déçu par la facilité qui est désormais la mienne pour tout ce qui est commerce. Notre Londres n'est plus qu'un enclos saccagé."
-"Nan, ça ira. On est nostalgique ?"
-"Seulement indisposé par la pagaille. Il est mille fois plus agréable de soudoyer un système que d'en créer un. Je ne plie plus les règles à ma guise, je les tisse ! C'est épuisant."
-"Pauvre gars. Je pleurerais bien, mais je n'ai pas emporté de mouchoir."
W : On a pu le constater ! Cesse un peu de te complaire dans ton rôle de héros théâtral. Continue !!Je serre les dents, et répète ma première question. De Maluise hausse légèrement des sourcils. Il fait un geste en direction des murs, me montre les tapisseries et les tableaux hors de prix qui s’agglutinent. Encore une fois, le vrai et le faux s'entremêlent. Je secoue la tête en une négation farouche. Mon interlocuteur fait la moue :
-"Si ce n'est pas un objet, peut-être est-ce une action dans une grosse compagnie ? L'identité d'un ami ? Dis-moi tout, Full, je garde bien les secrets."
-"Te fous pas de moi. Tu passe ton temps à distribuer au plus offrant les cachotteries de tout le monde dans cette foutue ville, t'es encore en vie juste parce que tu n'es pas assez bête pour révéler tout et n'importe quoi. Elle n'est pas n'importe qui. Vous devez tous travailler de concert pour la garder prisonnière. Elle vous intéresse, hein ? Vous voulez percer le mystère ?"
Il bat des cils mais ne réponds rien. Ses gants immaculés attirent un instant mon regard. Il triture un talisman à son cou. Nerveux, ou juste un leurre pour mener ma barque là où il le désire ? J'avais tendance à oublier le visage de De Maluise et les intonations de sa voix quand nous discutions. Tout chez lui pouvait vouloir dire le contraire de ce que j'assumais, et diantre ce qu'il était bon à ce jeu. Je me concentre sur un bouton de sa chemise.
-"Nous sommes dans un Casino. Parions."
-"Il y a des informations que je ne mise jamais ! Tu n'as rien à mettre sur la table d'équivalent, de toute manière." s'offusque-t-il.
-"Tu serais surpris. Je ne suis pas aussi blanc que je le laisse paraître."
-"Le grand Full ? Tu es plus propre qu'une neige fraîchement tombée, je n'ai jamais rien réussi à trouver sur ton compte qui puisse ternir ta si belle réputation. Tes économies sont bien cachées, aucun poste de police ne serait assez fou pour te renvoyer et il est impossible de te berner. C'est difficile à croire, mais personne n'est plus irréprochable que toi."
Si tu savais, De Maluise.
-"Donne-moi un prix alors. Si tu veux, je peux te supplier à genoux."
-"Te voler ta fierté ne m'est d'aucune utilité. Je peux exiger tout ce que je veux ?" me demande-t-il en riant. Un rire d'innocent, de brave citoyen.
Je confirme d'un hochement de tête. Son crâne penche de nouveau sur le côté. Ses yeux brillent d'une convoitise polie. Il n'a qu'une hâte, celle d'enfin mettre à jour l'inébranlable inspecteur que je suis.
-"Tu es amusant, Full. Je te respecte, tu es peut-être la seule personne de chair et d'os pour laquelle j'éprouve cela. Avec toi, chaque rencontre est une aventure, cela m'arrache à la monotonie des chiffres. J'aime l'algèbre et les codes, mais la routine peut devenir lourde. Heureusement, tu es là pour éclairer des soirées comme celle-ci."
-"Ton prix, Courtier."
Il ouvre la bouche. Une question roule sur ses lèvres, tellement appropriée que Walk ne pouvais rêver mieux comme aubaine.
…
L'homme qui me fait face semble émaner d'un miroir mystique. J'ai souvent entendu parler du Courtier, le magicien des finances, en mesure de subtiliser l'immatériel et l'intangible. Nous évoluons tous les deux dans des dimensions différentes avec le même principe : prendre les biens qui appartiennent à autrui. Il est petit, habillé avec l'élégance qui sied au rang de la noblesse aristocratique, ganté de blanc. Ses longs cheveux auburn sont coiffés en catogan.
Toi et moi, nous sommes des voleurs, des fils destinés à la richesse et aux soirées chics préférant l'excitation de briser en morceaux la cage des lois. Tu a les yeux de la même teinte gris-bleu que le regard qui m'habite. Voyons voir si tes talents sont également à la hauteur des miens.