Voici le nouveau chapitre. Il y a beaucoup de français québécois. Je ferai ultérieurement une chronique.
Chapitre III - Vieux souvenirs de guerre :
15 mars 1974, Château de Moulinsart, vers quatre heures du matin…
Tintin se rétablissait bien de ses blessures et d’ici quelques jours, le médecin devrait venir lui visiter pour confirmer sa guérison officielle. Portant sa robe de chambre bleue, un t-shirt blanc et un bermuda brun, il n’arrivait pas à dormir à cause de son excitation. La veille, le facteur lui venait de donner un important colis envoyé par le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), signé par le comte Alexandre de Marenches et déguisé dans un emballage avec des dessins sportifs pour enfants. Cette organisation s’était occupée à identifier des auteurs de l’attentat de l’hôtel Céleste et d’en faire un rapport, épais d’un peu plus de cent pages. Intrigué, le reporter apporta un verre d’eau avant prendre place dans un des fauteuils du salon et allumer une des lampes.
En lisant rapidement les pages rigides de l’ouvrage pendant deux heures, Tintin apprit des choses qu’il n’aurait jamais devinées. La majorité d’entre eux, plus précisément seize, provenaient de la Lybie. Anciens soldats et adversaires farouches du colonel Kadhafi, ceux-ci durent s’exiler en Sicile après le putsch de 1969. Une hypothèse postulait qu’ils s’étaient enrôlés comme mercenaires auprès du clan mafieux Durando avant de s’entraîner aux côtés du terrible Gaspar Hunyadi. Dix autres étaient nés en Chine et durent fuir le régime maoïste avant de s’établir en Italie comme simples ouvriers dans un chantier naval. Trois autres meurtriers étaient originaires de la Centrafrique et voulaient assassiner le dictateur Bokassa. Cependant, ce fut le dernier individu qui lui surprit.
-Ça alors! C’est le ninja nazi!
Né en Allemagne en 1918, Wilhem Planck, dit Genkishi se montra à l’adolescence un surdoué en arts martiaux et en combat avec les armes blanches et à feu. Son père travaillait comme diplomate et fut muté au Japon en 1927 avant de revenir en Allemagne en 1936. Avec la bénédiction du patriarche, Genkishi débuta une carrière comme entraîneur en combat corps à corps auprès des soldats allemands, ce qui pouvait être utile sur le champ de bataille. Ayant assisté à une de ses séances d’entraînement, Blomberg et Hitler s’intéressèrent fortement à lui. Au début de 1938, le Führer lui octroya un généreux contrat en échanges de tâches de meurtres sur des opposants au régime nazi (pro-juifs, modérés, communistes, pro-américains, etc.). Peu avant la chute de Berlin, Hitler lui remercia avec beaucoup de regrets et lui permit de se sauver du Reich grâce à une escorte. Retourné au Japon en 1946, il se porta au service d’un yakuza pendant environ vingt-cinq ans. Pour des raisons mystérieuses, il s’enrôla auprès des Durando au Québec sous une identité inconnue. Songeur, Tintin s’interrogea sur le lien entre Gaspar, Wilhem, le nazisme et les Danduro, mais il n’y avait pas assez de preuves et le colonel Thierry était parti en Italie plutôt qu’au Québec pour enquêter sur ces mafieux. Fatigué et venant d’apercevoir l’aiguille s’arrêter à six heures, il plongea au pays de Morphée.
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Deux heures plus tard…
Tintin fut réveillé par les jappements de son bon vieux Milou…
-Bon matin, Milou. Que se passe-t-il?
Son fox-terrier lui guida vers le vestibule. Séraphin Lampion était présent, le sourire rayonnant et plus en forme que jamais avec ses éternels papiers d’assurance.
-Comment vas-tu, mon vieux pirate?! Tu es un sacré veinard. Il paraît que tu t’es acheté une Aston Martin pour l’été.
Contarié, le capitaine sentit la moutarde monter aux oreilles.
-Je te l’ai déjà répété! La seule assurance qu’il me faut, c’est celle contre les casse-pieds comme toi!
L’assureur se tourna vers Tintin.
-Hé, Tintin! Comme le disait mon oncle Anatole dans le temps, tu dors debout avec ton pyjama! Ah, Nestor revient avec Léopold, un de mes collègues québécois.
Exaspéré, le majordome portait plusieurs grosses valises derrière un homme au début de la cinquantaine. Facilement reconnaissable par ses cheveux grisonnants marqués par la calvitie, son crâne brillant de mille feux, son physique trapu, ses yeux bleus rieurs et ses lunettes de soleil rondes, Léopold était aussi un assureur comme Séraphin. Arborant dans son manteau de cuir un complet doré avec une cravate rouge surdimensionnée, le Québécois fumait une gitane et contemplait le paysage. Furieux, le capitaine s’emporta.
-Nestor! Qui est encore ce phénomène!
Séraphin poussa un fou rire avant de répondre.
-Mon ami visite la France pour une semaine. Je lui ai parlé de ton château et y tient de le visiter. Il doit retourner à Paris le lendemain et ce serait idéal que tu l’héberges pour cette nuit. Je n’ai pas assez de place chez moi.
Il repartit chez lui en voiture. Un peu décontenancé, Tintin aida Nestor à prendre les valises et l’invité lui mit en garde.
-Attention, mon chum! J’ai vingt habits, mes effets personnels, des souvenirs et des fioles de cire liquide. Je te checke!
Surpris, le reporter le dévisagea.
-De la cire?!
Son interlocuteur en sortit un contenant avant d’appliquer le contenu sur le crâne de Nestor. Il devint éclatant et aveuglant.
-Et voilà! Pour polir le coco, astheure! Viarge que c’est beau!
Il caressa frénétiquement le front, ce qui amena Haddock à intervenir.
-Tu vas arrêter ton petit jeu, énergumène!
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Une heure plus tard, dans la salle à manger…
Les convives mangeaient un petit-déjeuner copieux préparé par Nestor : bacon, œufs, pain, confiture aux fraises, crêpes, Nutella, bananes, jus d’orange, lait écrémé, café et céréales à l’avoine. Soudain, l’invité sortit un liquide de teinture rousse.
-Goûtez à cela. C’est du sirop d’érable.
Enchanté, le capitaine observa l’aliment.
-On m’a souvent parlé de cette spécialité québécoise. Quand la température balance au-dessous et au-dessus du point de congélation, la sève de l’érable coule et on y peut faire une entaille avant d’y mettre un chalumeau. L’eau coule alors dans une chaudière et est prête à être bouillie. Cependant, il faut attendre environ deux semaines avant que la sève coule pour de bon. Je sais que le Canada a abaissé les droits de douane sur ce produit pour la France. Et un de mes rêves est de déjeuner à la cabane à sucre.
Surpris, Léopold acquiesça avec enthousiasme.
-Nice, buddy! Tu veux visiter le Québec.
Venant de terminer ses crêpes, Tintin s’approcha de l’étranger.
-Léopold, j’ai reçu un rapport sur les attentats de l’hôtel Céleste. Plusieurs auteurs seraient liés au clan des Durando.
Consterné, Nestor s’étouffa avec le lait et regarda le jeune détective.
-Tintin, as-tu lu le Figaro de ce matin?!
Il pigea le journal avant de montrer la première page du journal : LE DOMAINE DE FRANCISCO DANDURO À RIBERA INCENDIÉ ET SACCAGÉ MYSTÉRIEUSEMENT LA NUIT PASSÉE. Un peu plus en bas, une nouvelle tragique s’ajoutait : LE COLONEL JEAN THIERRY RETROUVÉ MORT DANS LES DÉCOMBRES DU MANOIR DANDURO. Et enfin : LES MAFIEUX MONTALLEGRO SOUPÇONNÉS DES CRIMES. Attristé, Tintin leva les yeux vers le plafond, mais Léopold lui rassura.
-Ça parle au yâble! Ces torrieux de Danduro sont bien trop puissants pour se faire pogner dans la marde. Y se passe une affaire de secret.
Ce dernier l’obtint et le parcourut avec Haddock et Nestor. Après une quinzaine de minutes de réflexion, l’ami de Lampion fit une confidence.
-Tsé, il y a cinq ans, mon frérot Zéphyrin a eu des importants problèmes de jeu. À plusieurs reprises, il a dealé avec des crosseurs qui l’ont fourré et m’a demandé de lui prêter de l’argent et me parlait d’un casino clandestin tenu par un Japonais. Un jour, Zéphyrin a décidé d’abandonner sa famille pour fuir ses créanciers! Depuis lors, la police a tenté de retrouver le casino et ces p’tits crisses de tabarnak.
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À 17h30 de l’après-midi…
Tintin et Milou étaient partis se promener. Quant à Nestor, il lisait tranquillement un roman policier. Du côté de Léopold et du capitaine, effectivement à l’extérieur, ils conversaient sur le hockey, un sport adoré au Québec, tout en buvant du whisky. La température était clémente et oscillait autour des douze degrés Celsius.
-Si je te comprends bien Léopold, tes équipes de hockey préférées s’appellent les Canadiens de Montréal dans la LNH et les Nordiques de Québec dans l’AMH. Je suis déjà allé voir une partie de hockey aux jeux olympiques de Grenoble en 1968. Elle opposait la France et le Japon. J’aime particulièrement les buteurs.
Intéressé, le Québécois s’exclama.
-Comme Cournoyer! Si tu aurais pu voir la garnotte du Rocket, mon gars!
Nestor les interrompit.
-Désolé, les Dupondt veulent vous apporter une nouvelle urgente et voir Tintin.
Contrarié de se faire déranger ainsi, le capitaine s’excusa auprès de son invité et alla accueillir les policiers.
-Quels cornichons d’eau douce!
Dupont le salua et lui présenta la situation.
-Bonjour capitaine! Je voulais vous annoncer que nous avons été choisis comme détectives pour enquêter sur le meurtre du colonel Thierry. Nous prenons l’avion dans deux jours pour Montréal.
Son frère ajouta quelques mots.
-Je dirais même plus. Nous espionnerons Giacomo Danduro, un des frères du mafieux Anthony Danduro. Il vivait à New York depuis des années. Il y a trois jours, il est revenu à Montréal, ce qui est un mystère pour les policiers.
Pendant qu’il parlait, Tintin et Milou revinrent de leur promenade.
-Quelle bonne surprise, mes amis! Que faites-vous à Moulinsart?
Dupont expliqua sa mission au reporter avant de lui faire une proposition.
-Mon frère et moi, nous aimerions beaucoup que tu nous aides. Dans le passé, tu es déjà allé aux États-Unis. Là-bas, tu as eu affaire avec la mafia.
Tintin s’exclama.
-Pourquoi pas?
Furieux, Haddock pestiféra.
-Tintin! Tu ne vas pas risquer inutilement ta vie au Québec! Laisse donc les gendarmes faire leur travail, justicier masqué de carnaval! J’aspire à une retraite paisible! Vas-y si ça te chante, MAIS MOI, JE RESTE ICI! S’efforçant de rester calme, Tintin tenta de convaincre son ami.
-Tu n’es pas oublié de m’accompagner dans l’enquête, mais c’est dommage que tu te prives de ce voyage. Je te connais : tu adores la neige, le sucre, le hockey, les promenades dans les forêts et lire des livres sur Québec. En effet, tu m’avais même dit un jour que ton ancêtre François de Haddoque avait un frère, Michel, qui avait fait du commerce de fourrures en Nouvelle-France.
Perplexe, Archibald invita tout le monde à manger une collation dans la salle à manger.
-Je pense que j’ai besoin de me changer les idées. Venez manger quelque chose avec moi.
Il aida Nestor à préparer des bouchées comme des craquelins, des figues séchées et des arachides alors que les Dupondt, qui revenaient de la salle de bain, acceptèrent de partager des chocolats qu’ils s’étaient procurés dans une chocolaterie à Moulinsart. Une fois assis, Haddock ouvrit une bouteille de champagne Mouton Cadet.
-Ledit Giacomo Danduro était un mafieux à New York. Sais-tu des choses sur les Danduro, Léopold?
Le Québécois livra des détails croustillants.
-Pour Giacomo, il a épousé une femme du clan mafieux des Gambino et coache une cellule de cette famille aux States, très liée aux Danduro. Y paraît qu’il a une cabane. Quant à Francesco, on ne sait pas beaucoup de choses sur cet épais. Y était un partisan de Mussolini à l’époque. Son père Vittorio, riche cultivateur, a appuyé Mussolini depuis les débuts des fascii. Le frère de Vittorio, Leonardo avait une belle job de diplomate italien en Allemagne et contribua partiellement au rapprochement germano-italien de 1936. Aussi, un de mes amis a combattu en Sicile avant de retourner au Canada, ben magané à Messine. Y a vu que les nombreux Danduro occupaient une place extrêmement importante dans l’armée italienne en Sicile. Les hommes combattaient comme officiers et les femmes soignaient les blessés en plus de galvaniser le moral des autres. Une partie de la fortune de Vittorio servit à ravitailler ces soldats. Voici tout ce que je sais.
Il fit une pause avant de poursuivre.
-En passant, je vous propose une dégustation. J’ai une bouteille de cidre de la Mauricie, un rosé provenant des Outaouais, un blanc de Chaudières-Appalaches et un rouge du Bas Saint-Laurent. Si vous venez au Québec, je pourrais vous faire visiter un petit vignoble situé proche de l’île de la Nouvelle Orléans. Ne faut pas prendre tant même une brosse.
Un large sourire se dessina sur le visage du capitaine.
-Là, tu parles. Si tu le permets, j’aimerais ouvrir un magnum de romanée-conti datant de 1949. Il m’a été donné par un bon ami. Aussi, je suis prêt à vous servir d’autres boissons comme du porto, du rhum, du whisky, etc. Déçu par l’attitude de son compagnon, Tintin s’éclipsa avant de dénicher dans la bibliothèque deux livres sur la Seconde Guerre mondiale, un sur les nazis, un sur le fascisme italien et un sur l’histoire de la mafia en Italie. Assis confortablement sur une chaise à l’extérieur et éclairé par une ampoule, Tintin tenta de trouver des informations supplémentaires sur les énigmes.
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Deux heures plus tard…
Après avoir exploré avec patience ces livres, Tintin découvrit un seul indice. Le premier concernait l’opération Barbarossa : Franz Halder de l’OKH avait placé dans plusieurs divisions du front oriental des soldats extrêmement puissants. Pouvant résister aux bombes et aux balles ainsi qu’au froid intense, ces derniers constituaient une valeur sûre. Fort cruels, ils fauchaient la vie d’innombrables Soviétiques, mais ils ne purent rien faire devant la contre-attaque de leurs rivaux. Ces officiers furent exterminés lors de l’opération Bagration sous les ordres d’Alexandre Vassilevski. Une chose était certain, le ninja nazi n’était pas de ce groupe puisque son corps était certifié normal suite à son autopsie. A-t-il eu des survivants parmi ceux-ci?
Fatigué, Tintin décida de retourner à l’intérieur où il entendit des cris de joie. Il s’introduit dans la cuisine où Nestor, ivre mort, gisait sur le plancher avec des vomissures et une bouteille de gin éclatée en mille morceaux. Furieux, Tintin passa dans le salon, souillé de flaques de vin et de spiritueux ainsi que des fragments de vitre. En caleçons, Léopold chantait la Marsellaise avec Dupond. L’autre frère faisait boire du cognac à Milou. Tintin lui en empêcha en confisquant la bouteille. Quant au capitaine, il regardait une joute amicale de soccer entre Montpellier, et le Santos FC. Les profits des billets vendus serviraient à aider les familles défavorisées à payer les études de leurs enfants. En sueurs, Haddock poussa un cri strident puisque Pelé, son attaquant préféré, venait de compter un but spectaculaire. Malheureusement pour Nascimento, son but fut refusé. Bouillant de rage, le capitaine lança sa bouteille de porto vers la télévision avant d’injurier.
-Jocrisse! Sacripant! Négrier! Macaque! Zapotèque! Anacoluthe! Coprolithe!
Soudain, des coups de feu se firent entendre. Alerte, Tintin s’empara d’une lampe de poche et des deux pistolets des Dupondt avant de se poster derrière la porte d’entrée. Il l’ouvrit et trouva un Séraphin Lampion horrifié. Un peu plus tard, Lampion conta sa mésaventure.
-Peu avant midi, Pierrette, la femme de Léopold m’a téléphoné pour annoncer que son fils cadet Charles avait contracté une grave bronchite. Elle voulait que son mari revienne d’urgence chez lui pour être au chevet de son garçon handicapé. J’ai essayé de téléphoner chez vous, mais la ligne ne marchait pas. Alors, j’ai décidé de venir chez vous. Quand je suis arrivé devant le château, un individu masqué était dans une Citroën rouge et a tenté de tirer en direction de mon véhicule avant de se sauver. Un complice conduisait l’automobile, mais je n’ai pas pu l’identifier.
Intrigué, Tintin demanda d’autres explications.
-Es-tu blessé? As-tu vu sa plaque d’immatriculation?
L’assureur haussa les épaules.
-Je ne suis pas blessé, car le tireur a manqué la cible. Toutefois, ma voiture est bonne pour la réparation. Aussi, il faisait trop sombre pour que je puisse voir les chiffres et les lettres de la plaque.
Tout à coup, une explosion violente eut lieu. Paniqué, le reporter courut en direction du laboratoire de Tournesol. À son grand malheur, la place était en ruines et des flammes achevaient le travail. Impuissant, Tintin s’écria.
-Bandits! Au Québec!
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