Chapitre 1 : Banane
Pri était satisfait. Sa première confrontation avec ce monde l’avait rassuré quant à sa valeur, et surtout à la part d’exploration et d’aventure qu’elle pouvait lui proposer. Il avait sans doute effrayé ces pauvres paysans, mais maintenant qu’il était loin, ça le faisait bien rire. Après tout, il n’avait rien fait de mal, à part mentir. Et quoi de mieux qu’un bon petit mensonge pour se sentir avantagé ? Le ciel n’était pas farouche, aussi n’avait-il aucun mal à se diriger. Les petits nuages argentés qui se dressaient devant lui, fortement éclairés par la lumière diaphane de la lune, lui faisaient penser à ceux de la Terre. Leurs climats respectifs devaient être semblables. De toute manière, les personnages qu’il avait croisés étaient en tous points semblables aux humains, et il n’y avait aucun doute qu’ils en étaient bel et bien. Le sol défilait à grande vitesse, quelques centaines de mètres au-dessous. Quel délice de se laisser ainsi porter par le vent. Il dépassa bien vite la première île et se retrouva au-dessus de la mer. Une mer d’huile, mais aussi bleue qu’un ciel d’été. Cela était d’ailleurs curieux ; comment la lumière lunaire pouvait-elle illuminer cette eau de la même façon que le soleil ? Le plus étrange dans l’affaire, c’était que seule une petite portion de la mer était ainsi. Comme une tâche bleutée sur un tableau noir. Il décida de se rendre sur place pour enquêter. Mais soudain, Pri aperçut un navire, minuscule vu depuis cette hauteur. Sans se rapprocher, il regarda le bateau de plus près. Il pouvait parfaitement en voir le pavillon en se concentrant un peu. Une tête de mort, des os… des pirates ! Quelle chance ! Il allait pouvoir en apprendre un peu plus sur ce monde, et, peut-être, comprendre le pourquoi du comment de cette mer aux couleurs hétérogènes.
Il fusa tel un météore sur le pont du navire, mais y posa le pied avec douceur, sans faire le moindre dégât. Aussitôt, deux gaillards aux lourdes balafres se tournèrent vers lui.
- Hey ! Qui va là ? demanda le premier, qui avait une voix lourde et dure, qui aurait intimidé n’importe quel badaud.
- Ouais ! Qui va là ? répéta son compère, d’une voix fluette et mal assurée.
Ces deux hommes contrastaient franchement. Le premier n’avait plus qu’un gros chicot pourri en guise de denture, et il tenait déjà son énorme sabre en main, de façon d’autant plus intimidante qu’il devait faire dans les deux mètres. Le second, en revanche, restait caché derrière un tonneau, ne laissant dépasser que ses petits doigts grassouillets et ses yeux de biche. Un gamin aux allures de porcelet inoffensif. Pri sourit et attendit qu’il se passe quelque chose de drôle. Le colosse, enragé par cette absence de réponse, pointa son sabre sous la gorge du nouveau venu.
- Ecoute-moi bien moucheron, cracha-t-il en postillonnant grassement sur le visage enfantin de Pri, je sais pas comment t’es arrivé là mais t’es bien mal tombé. Tu sais de quel navire il s’agit ?
- Ouais, ouais ! s’exclama le second, sautillant derrière son tonneau. Ouais, tu sais ou pas ?
Pri fit semblant de réfléchir un instant, ce qui exaspéra davantage le grand pirate. Puis, alors que les grognements qu’avait poussés cette andouille rameutaient une bonne partie de l’équipage sur le pont, le voyageur leva l’index en signe de trouvaille, puis dit :
- Bien sûr que je le sais ! Mais je ne te le dirai pas, c’est un secret.
- Gneinh ? grommela le colosse en haussant un sourcil, incrédule.
- Ouais, ouais, gneinh ? répéta son acolyte, qui commençait à agacer légèrement le voyageur.
Les dizaines de pirates alcoolisés qui venaient de sortir des cabines, armés jusqu’aux dents, les habits parfumés au rhum, vinrent encerclé Pri en lançant des bordées de jurons comiques. Visiblement, personne n’avait été épargné par la saoulerie, à part le colosse et son perroquet de compère. Le brouhaha cessa peu à peu au fur et à mesure qu’un grand bonhomme, voûté comme une banane, le menton démesuré et pointu comme un clou, coiffé d’un tricorne jaune ridicule, s’approchait du voyageur.
- Capitaine, j’sais pas d’où il sort ce gars-là ! tenta d’expliquer le colosse en se retournant vers son chef, pointant Pri de son sabre d’abordage. On faisait notre patrouille tranquilles avec le Loustique, et il est apparu d’un coup comme ça !
- Ouais, ouais, comme ça ! dit le Loustique, reprenant une fois de plus les propos de son compagnon, irritant sérieusement Pri au passage.
La banane humaine s’approcha du passager clandestin et l’examina attentivement, un horrible sourire courbé – comme une banane – sur les lèvres. Il frotta ses mains noueuses et fit signe à ses hommes de ne faire aucun bruit, signifiant qu’il allait prendre la parole.
- Ben mon gars, tu sais qui je suis ? interrogea-t-il d’une voix couinante, s’emparant d’un rouleau qui dépassait de sa poche et s’apprêtant à l’ouvrir de façon théâtrale.
- Bananax ? proposa Pri en haussant les épaules.
Soudain, tout le monde retint son souffle. Même le Loustique s’était calmé. Le voyageur remarqua que le visage du capitaine s’était assombri, comme s’il se retenait de faire quelque chose d’horrible. Mais finalement, après une bonne sueur froide de l’équipage, le capitaine déroula avec frénésie ce qui se révélait être un avis de recherche, en récitant le texte qu’il avait appris par cœur pour donner un aspect dramatique à la scène :
- Tremble, asticot, car je suis Binino, le croqueur d’enfants, le spectre des nuits sans lune, le profanateur des souvenirs d’antan ! Sache que ma prime s’élève à plus de 10 millions de Berrys ! HA HA ! Ca t’en bouche un coin, hein ?
Pri se pencha rapidement sur l’affiche et lut rapidement ce qui était écrit :
- « WANTED : Binino, la banane des mers. Récompense : 10 000 000 Berrys. Recherché pour : vol de bananes. » A moins qu’ici, « Banane » ait d’autres sens que « Banane », ce que tu me dis, c’est du vent. Banane.
L’équipage s’était figé dans une posture d’horreur indescriptible, alors que le visage de Binino devenait rouge. Pri sourit ; il fut satisfait de voir qu’il n’avait pas eu tort en pensant que le capitaine était atteint d’un fort complexe fruitier. En l’occurrence, Binino semblait avoir du mal à supporter ces cinq reprises où le mot « banane » fut employé, et bientôt, il déchira son affiche en hurlant de rage, créant la débandade dans les rangs de ses hommes.
- Je ne sais pas qui tu es, étranger, ni d’où tu viens, mais sache que c’était une grave erreur de venir sur ce bateau cette nuit ! gronda-t-il en dégainant une épée en forme de… bon, vous l’aurez deviné. Tu croupiras à fond de cale sous forme de hachis quand j’en aurai fini avec toi !
Pri avait l’habitude des affrontements. Les quelques pirates qui étaient restés observer le châtiment de leur capitaine, cachés derrière des cordages ou des tonneaux, allaient profiter d’un sacré spectacle. Binino abattit son épée-banane sur le crâne du voyageur, mais celui-ci évita le coup avec une telle aisance que son opposant fut déstabilisé et tomba par terre. L’équipage cligna des yeux en poussant des exclamations interdites. Quand il se releva, Binino était devenu rouge tomate, et de la fumée s’échappait de ses oreilles en chou-fleur. Il commença alors à faire valdinguer son épée dans tous les sens, puis fonça sur Pri au dernier moment, dans l’espoir que l’un des coups finisse par toucher un point vital de son adversaire. Mais le voyageur se contenta de faire un pas de côté, et Binino finit sa course sur un canon du pont derrière lequel s’étaient retranchés deux de ses hommes. Le canon fut coupé en rondelles, mais les pirates avaient sauté à l’eau en hurlant comme des fillettes avant de subir le même sort. Le capitaine, constatant les dégâts, hurla de nouveau, à ce point bouillant de rage qu’on aurait pu faire cuire un œuf sur son front.
- Vermine de fond de cale ! beugla Binino en pointant sa lame jaunâtre et recourbée sur le voyageur. Je vais te montrer ce qu’il en coûte de te moquer de moi ! BANANA SPRINT !
Pri observa avec amusement son adversaire s’emparer d’une seconde lame à la taille surdimensionnée, qu’il venait de sortir de son (banana) slip. Binino accourut comme un dératé, les pupilles dilatées, laissant libre court à sa furie. Bon Prince, Pri décida d’arrêter là le numéro de cirque et d’envoyer son petit camarade au pays des rêves. L’équipage vit alors ce fléau de Pri disparaître, puis réapparaître instantanément, poing levé, sous le menton de leur capitaine, qui vola dans les airs avant de rejoindre deux de ses hommes à la mer. Ahuris, les pirates poussèrent un hurlement apeuré collectif avant de courir dans tous les sens en criant n’importe quoi :
- Notre capitaine s’est fait démolir !
- Au s’cours, il a mangé un fruit du démon, c’est pas possible !
- Que fait la marine quand on a besoin d’elle ?
- J’veux pas mouriiiiir !
Le voyageur s’assit sur un tonneau, en cassa le couvercle et attrapa un pirate de l’autre côté du navire. Il lui piqua son gobelet avant de revenir s’asseoir sur le tonneau et de plonger son verre dans le rhum, un petit sourire aux lèvres. Il le goûta. L’alcool avait le goût de la victoire ; il était meilleur que ce à quoi il s’était attendu de la part d’une boisson de forbans malpropres. Puis, alors que le dernier pirate s’était jeté à l’eau, il porta un toast à sa santé et vida le tonneau d’un trait. Tout cela avait été très festif, mais il n’avait cependant pas eu la réponse à ce pourquoi il était descendu à la base. Il décida donc d’aller rattraper un nageur effrayé pour le lui demander. Il décolla du pont dans une traînée de flammes bleutées, puis flotta à la surface de l’eau, rattrapant rapidement le grand pirate et le Loustique, qui avaient récupéré leur Capitaine KO en le prenant chacun par un bras, et nageaient à toute allure pour s’échapper. Peine perdue ; ils le comprirent quand ils virent Pri voleter à leur niveau, bras croisés, dos face à l’eau, les cheveux noirs volant au vent.
- Pitié, nous faites pas d’mal ! pleurnicha le grand pirate, lâchant le bras de son capitaine pour joindre ses deux mains en signe d’imploration.
- Ouais, ouais, nous faites pas de mal ! répéta le Loustique, imitant parfaitement son camarade, laissant donc le capitaine couler quand il fit le signe de prière à son tour.
Le voyageur éclata de rire face à cette scène grotesque, mais ne perdit pas sa question de vue pour autant.
- Bon, puisque vous êtes aussi mignons, dit-il dans un sourire, je vous laisserai sains et saufs, à une condition.
- Laquelle ? Laquelle ? dirent les deux pirates en chœur, tandis que Binino refaisait surface, sa noyade lui faisant retrouver instinctivement ses eprits.
- Que vous me disiez pourquoi la mer est aussi bleue ici. On dirait qu’elle est éclairée depuis les bas-fonds, c’est incroyable.
Le Loustique et son compère haussèrent les épaules, aussi ce fut Binino qui dût répondre, après avoir chassé toute l’eau de ses poumons.
- C’est à cause des méduses géantes, crachota-t-il, terrifié à l’idée que le voyageur puisse de nouveau lui régler son compte. Elles vivent dans les profondeurs et illuminent la mer avec leur corps électrifié. Voilà ! Maintenant vous savez ! Laissez-nous tranquilles !
Pri fut satisfait de cette réponse. Il se concentra un instant pour mieux voir ce qui se camouflait au fond des eaux. En effet, il aperçut tout un groupe de méduses en train de flotter paisiblement, irradiant la mer de leur lueur bleutée. Heureux de sa soirée, Pri adressa un signe d’au revoir aux pirates de Binino, puis vola jusqu’aux nuages avec célérité.
Les pirates poussèrent un soupir de soulagement, mais Binino commença à pleurer de honte.
- Je hais les gens comme lui ! suffoqua-t-il, encore affecté par l’eau qu’il venait d’avaler. Je hais ces maudits porteurs de fruits du démon ! Il n’ont rien à faire en dehors de la route de tous les périls, bon sang !
- Allez, allez, c’est pas grave, chef, réconforta le grand pirate en tapotant l’épaule de son capitaine. Au moins il a pas cassé notre bateau.
- Ouais ouais, c’est pas grave ! répéta le Loustique.
Déprimé, Binino jeta un dernier coup d’oeil aux nuages dans lesquels le mystérieux voyageur venait de disparaître. Puis il nagea vers le bateau en compagnie de ses hommes, se jurant à lui-même qu’il mangerait un jour, lui aussi, un fruit du démon.
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Voici le chapitre 1 ! C'est grâce à vos commentaires que l'inspiration m'est venue, j'espère donc que la suite de mon texte vous plaira ^^
Védé => je te trouve bien véhément dans tes propos. Je n'ai pas la prétention de vouloir écrire un livre et encore moins de déclarer détenir la raison la plus complète quant à mes écrits. J'écris parce que j'aie écrire, et parce que ça me fait plaisir de faire plaisir aux gens. Voilà pourquoi je tiens compte des critiques et j'essaie sans cesse de m'améliorer. Cela fait pas mal d'années maintenant que j'écris, pour un simple amateur de fan fictions je veux dire, et il n'y a pas un seul instant où je n'ai pas essayé d'évoluer pour me rapprocher au mieux de ce qui me fait à la fois plaisir d'écrire et ce qui fait plaisir aux lecteurs.
Mon style est simple et sans fioritures, je ne cherche pas à transcender le lecteur avec des tournures de phrases que je n'aime pas et que je ne maîtrise de toute façon pas ; je joue plus à un jeu avec lui, et si tu me parles de règles, de codes à respecter, je te répondrai Bukowski ou Palahniuk. Je ne veux pas faire dans le standard, dans l'aseptisé. Je veux vraiment écrire parce que j'aime ça, et par la même occasion respecter un peu mieux les attentes des lecteurs.
Dans cette suite, j'ai essayé de mieux alterner les descriptions et les dialogues. A propos des espaces, quand j'ai commencé à écrire ce chapitre, je n'ai pas pensé à les limiter, donc je suis navré mais j'essaierai la version moins aérée au prochain ^^
Pour répondre plus parfaitement à tes commentaires :
- donc pour l'histoire des sauts de lignes, je t'ai dit, j'essaierai de les limiter au prochain chapitre ^^
- ce texte se suffi(sai)t à lui-même pour la simple et bonne raison que j'ai raconté exactement ce que je souhaitais, et qu'il était possible de comprendre la nature de ce personnage grâce à ces mêmes indices dont tu parles, que j'ai bel et bien glissés dans le texte (rien que le titre, "le voyageur", puis quand il parle de la Terre, etc.) ; en l'occurrence ici tout sera étoffé puisque je transforme ce texte en fanfic chapitrée, donc les réponses aux questions viendront au fur et à mesure ^^
- voilà qu'on me traite de fainéant maintenant ! Si je ne souhaite pas inclure de descriptions parce que je n'en vois pas l'intérêt pour la construction de mon récit, c'est une volonté comme une autre. En l'occurrence, j'accorde bien plus de valeur aux personnages et à leurs interactions qu'à ce décorum dont tu me parles. Je ne fais pas de la bande dessinée ! Et il est bien mesquin de dire que je n'en mets pas du tout, ou pas assez. Est-ce que vous aviez l'impression de lire l'histoire d'une crevette perdue demandant son chemin à une grenouille qui passait par là ? Je ne pense pas. Et quel intérêt d'agacer à la fois les personnages et le lecteur en passant deux pages à décrire parfaitement les environs d'une ferme qui n'a que peu de valeur dans le récit ? Ou encore du fermier et de ses filles, qu'on ne reverra plus et qui n'ont servi qu'à accueillir Pri dans le monde de One Piece ? Allons, allons. Je connais l'importance des descriptions, et je sais aussi que plus un élément est détaillé, plus il prend de valeur et d'importance aux yeux du lecteur. Si je n'ai pas ressenti le besoin de décrire les éléments plus que cela dans ce premier texte, c'était pour une raison véritable, et je me sens insulté quand tu parles de fainéantise. Cependant je comprends bien ce que tu me dis.
- je ne supporte pas d'écrire dans le style "pièce de théâtre", parce que ce genre de texte nécessite justement une mise en scène et chaque petit point de didascalie ou de décor revêt une importance capitale. Non non ce n'est vraiment pas pour moi ^^
Bref, j'espère que la suite de mon texte te réconciliera avec lui ! (Merci pour le lien, je passerai y faire un tour !)
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