Quand on est critique, on est forcément un peu raté. On tente de noyer notre chagrin de n’avoir pu faire le même travail que ceux qu’on s’amuse à descendre. On compense maladroitement notre manque de talent par une surdose de condescendance. On se dit qu’on a visé juste, qu’untel a raté ce qu’il voulait communiquer, mais au fond, il ne s’agit que d’un jugement tout à fait personnel. C’est notre propre sensibilité qui est mis en jeu tandis qu’on écrit une critique. Pour le lecteur c’est un comble. Quand peut-il se fier à l’avis d’une tierce personne lorsque celle-ci n’a, peut-être, dénigré ceci ou cela que par simple rancune subjective ? La hache de guerre peut s’apparenter à un amas de nuages : un temps menaçante et sombre, pesant sur nos têtes tel un déluge en devenir, puis, l’instant d’après déjà dans les cieux, pur oubli inconscient sitôt chassé par une âme en proie à la guérison du cœur. Un critique compose avec ce qu’il a d’appréciation présente : son attachement pour ceci n’engendrera pas le même attachement dilaté dans le temps. Pour parcourir les lignes d’un dithyrambe ou celles d’une diatribe, il faut tout d’abord, et par conséquent, signer un contrat tacite. Celui de l’acceptation, avec erreurs et divergences. Une critique n’est jamais impersonnelle, elle est toujours affaire d’instant, et son auteur même pourra se contredire ; mais ce n’est pas un mal. Il n’y a de mal que dans l’absence de la présence d’un mal potentiel car dans ce cas, il serait bien triste de voir à quel point on est peu enclin à s’affirmer sans honte.
Il y a des modes partout et pour tout. De nos jours, c’est un luxe que d’écrire un long texte. Après tout, c’est également un luxe que de pouvoir prendre le temps de lire un long texte. Certains, à la lecture d’un long texte, et a fortiori quand il s’agit d’une critique, se trouvent ulcérés jusque dans leurs entrailles ; c’est qu’ils ne comprennent pas la teneur des propos qu’ils ont pu parcourir. Aboyant au scandale, ils se mettent à analyser l’analyse, ils pensent trouver dans cette révolte entourée de mièvrerie quelque disgrâce à la faveur du cynisme contre lequel ils tentent de lutter. Dans un sens, ils cherchent à devenir une espèce déjà trop répandue : Maman, je veux être critique de critiques. Ils oublient l’essentiel, perdant de vue la base et la finalité de tout commentaire : le partage. Le conflit survient quand on se sent mutuellement blessés par des paroles croisées de consistance opposée. C’est un combat pour l’honneur de son patrimoine. Reculer et se tasser devant un avis contraire au sien, quoiqu’il soit d’une solidité effarante, est assurément une marque de faiblesse. Si un tel cas se produit, on se persuade alors d’avoir perdu un crédit précieux aux yeux de son adversaire d’un instant. C’est peut-être la raison pour laquelle on persévère toujours, même dans une considération erronée, plutôt que d’avouer son tort. L’esprit de cohérence est une asthénie de l’âme à bien des égards, parce qu’il peut nous astreindre à des erreurs primaires qu’on n’aurait jamais commises sans lui.
Pourtant, dans le cadre des critiques hebdomadaires de One Piece, cet état de fait est presque toujours contrairement vérifié. Et pour cause, tout le monde est unanimement d’accord, à chaque rengaine, pour décrire l’œuvre d’Oda comme un objet d’art sans prix. C’est un aspect qui facilite grandement les choses pour quelqu’un qui, comme moi présentement, se plait à venir laisser une trace de son ressenti. En sillonnant les pages et les mots, il est une régularité qui nous saute au visage, comme transgressée par une prise de conscience qui jusqu’ici n’avait jamais tenu sa place. Il est en effet troublant et amusant de s’apercevoir que les gens, à la force d’une habitude marquée profondément dans les mœurs de nos jours, assimilent simple description et reprise des événements d’un chapitre à un panégyrique des plus engagés. Le temps a sans incertitude donné de la ferveur à ce manga, qui a pris depuis lors les galons nécessaires pour prétendre à une évidente suprématie.
Et dans des circonstances pareilles, il est, conséquemment, d’autant plus singulier de constater le niveau de perfection que nous sert Oda dans une ère post-500 incroyablement percutante. Sa disposition naturelle à manipuler, tel un magicien des sens, les émotions de ses lecteurs est prodigieuse de puissance. Par ce biais, de la rédemption d’Octo à la capture puis au sauvetage de Camie, tout nous apparait sous une apparence touchante et empathique. Parfois même, notre raison nous souffle qu’on est en présence d’une facilité scénaristique mais il n’y a rien à faire, notre corps ne répond plus qu’aux stimuli parsemés avec intelligence par notre gourou adoré. A l’image d’un hypocondriaque à l’écoute de son corps pour y déceler la moindre des disfonctionnements, on est à l’écoute de chacun des chapitres pour y extraire la moindre trace de jubilation. Aujourd’hui, il est devenu pour ainsi dire risible d’émettre un quelconque commentaire dès lors qu’on fait partie des derniers à s’essayer à l’exercice. Une digression vaut donc mieux qu’une vaine tentative. Car en bref, évoquer One Piece n’est plus une démarche anodine.
Dernière édition par EnOd le Sam 21 Juin 2008 23:02, édité 1 fois.
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