Guy Gavriel Kay ou la poésie des âges sombres

Connaissez-vous cet auteur canadien ? Né en 1954, étudiant en philosophie et juriste, il a gagné depuis les années 80 plusieurs prix pour ses livres de fantasy. L’homme a commencé sa carrière en travaillant avec Christophe Tolkien sur le Silmarillion, et compte dans ses productions un recueil de poésie, ce qui pourrait vous laisser penser que ses ouvrages seraient épiques mais un poil abscons (les 100 pages sur les calendriers de la Comté au début du Seigneur des anneaux ça vous a plu ?).
Il n’en est rien : si le lore de ses livres est très travaillé avec une forte documentation sur les périodes historiques concernées, s’il est vrai qu’il y a une démarche poétique dans chaque œuvre et que chaque lecture apporte son lot de scènes clairement très fortes, le choix de situations réalistes et le positionnement de la narration à hauteur de ses personnages (narration à la troisième personne dans la tête de la dite personne), auxquels on peut s’identifier, rend le tout très accessible. Il faut dire qu’il a été aussi scénariste d’une série TV judiciaire (Scales of Justice), ça se sent dans les scènes d’action et sur le côté « page turner ».
Je l’ai découvert il y a longtemps par sa trilogie de Fionavar, mais c’est bien plus tard en lisant le reste de son œuvre qu’il est devenu mon auteur de référence : je sais à chaque livre ouvert que je vais rire, pleurer, ressortir époustouflé de ma lecture… et découvrir des périodes de l’histoire et des sujets dont je n’avais pas idée. Comme ces livres n'ont pas été (beaucoup) évoqués sur ce forum, je me permets de vous le présenter, c'est la moindre des choses après tout ce que j'ai pu découvrir ici, en espérant que ça vous donnera envie de lire l'un des romans !
Vous trouverez ci-dessous une présentation succincte de ses ouvrages, un commentaire sur les sujets récurrents qui les rendent si remarquables à mes yeux, et quelques sources.
La tapisserie de Fionavar
L’arbre de l’été - Le Feu vagabond - la Voie obscure (1984-1986)

Cette trilogie a déjà été évoquée sur ce forum par Seii Tai Shogun en… 2006 ^^
viewtopic.php?f=18&t=3371&p=68043&hilit=fionavar#p68043On est dans les années 80, l’inspiration tolkienesque est forte et légitime : des étudiants canadiens se retrouvent propulsés dans un monde parallèle pour aider les royaumes à lutter contre Saur… Volde… Rakoth Maugrim, banni sous une sombre montagne des millénaires avant et qui semble se réveiller, appelant à lui maintes créatures légendaires et hérauts maléfiques. Le décor « high fantasy » est bien planté, avec l’approche plus très originale aujourd’hui mais néanmoins sympathique d’intégrer différents clichés ou légendes classiques dans le déroulement de l’histoire : un héritier en exil, des elfes, un magicien blanc, un chien, un cor… le triangle amoureux Arthur – Guenièvre – Lancelot est notamment mis à l’honneur. Le tout est bien réalisé, on se tient à chaque chapitre au niveau de l’un des 5 étudiant(e)s, chacun va découvrir un autre pan de ce monde fantastique, se découvrir (ou pas) des pouvoirs et des liens avec les divinités et légendes qui le parcourent, être transformé et faire face à des choix forts, avec au bout souvent un sacrifice plus ou moins définitif. On est parfois dans la geste poétique, on revient toujours à terre grâce à ces terriens déportés qui questionnent leur libre arbitre de manière très concrète « mais qu’est-ce que je fais là ? je retourne à Toronto ou j’attrape une épée et je vais aider ces gens ? et si j’annonce cette prophétie, je vais envoyer ces gens se faire tuer non ? ».
La synthèse de tous ces éléments est bien exécutée, les inspirations peuvent sembler datées aujourd’hui mais l’écriture n’est pas lourde et rend le tout encore abordable aujourd’hui.
La trilogie n’a pas eu de suite à proprement parler, mais G G Kay a publié une nouvelle en 2007 qui s’intitule…
Ysabel

On y renverse la situation : c’est un adolescent américain, en vacances dans le sud de la France de nos jours, qui est témoin, puis finalement acteur d’une affaire de cœur, de magie et de violence qui remonte aux âges antiques et qui s’immisce dans le quotidien de la ville locale. Le dépaysement est fort, le lien ténu mais bien fait avec Fionavar, sans voler la vedette à l’histoire principale. Il y a moins de souffle que la trilogie et l’ambiance est très différente, plutôt un bon petit roman pour les vacances d’été.
Maintenant oubliez les dragons et les gobelins, nous entrons dans la fantasy historique qui est devenu sa spécialité, en commençant par les œuvres qui en ont posé les jalons. Une recette de base : une bonne vieille carte de bouquin de fantasy, des pays qui ressemblent à ce qu'on connait (Europe, Asie) mais renommé différemment, une période de l'Histoire peu représentée dans la fiction, et des vies qui vont changer. Je vous présente ci-dessous les résumés Babelio et un commentaire perso.Tigana (1990)
Depuis ce jour fatal où son fils bien-aimé fut tué, Brandin d'Ygrath ne vit plus que pour sa vengeance. Il ne lui suffit pas que Tigane soit rayée de la carte, il faut aussi que tous les natifs de la cité meurent à leur tour. Qui peut contrer le tyran ? Alessan, le prince héritier, engagé dans la résistance sous le masque d'un ménestrel ? Dianora ? Originaire de Tigane, elle s'est juré de le tuer, mais elle a un désir profond de cet homme. Alberico, le sorcier, avec qui Brandin partage le pouvoir ? A la seule évocation de Tigane, des forces obscures s'affrontent.Attention à l’addition des concepts : C’est une Italie pré-Renaissance, mais dirigée par des rois-sorciers ! L’un d’eux a jeté un sort sur les habitants de la défunte Tigane, ce nom a été rayé de leur mémoire ! La toile de fond est la vengeance, écrite comme un récit de braquage avec une partie recrutement d’une équipe cool, et une partie résolution. Entre les deux, on se rapproche du tyran… et on s’y attache…
A song for Arbonne
Bien qu'ils soient voisins, les pays de l'Arbonne et du Gorhaut semblent aussi différents que le soleil l'est de l'astre de la nuit.
Au sud, les oliviers et les vignes de l'Arbonne s'épanouissent alors que les troubadours célèbrent l'amour courtois, la joie de vivre et la déesse Rian. Au nord, la terre sombre et austère du Gorhaut porte un peuple de farouches guerriers qui ne jurent que par l'épée et adorent Corannos, le dieu mâle.
Gouverné depuis peu par Adémar, roi cruel et mesquin, le Gorhaut est sur le point d'envahir l'Arbonne, affaibli par la lutte intestine de deux de ses principaux ducs, Bertran de Talair et Urté de Miraval, et gouverné par une femme, Cygne Barbentain.
Face à l'armée du Gorhaut soutenue par la colère de Corannos, les chances de l'Arbonne paraissent bien minces. Mais le pays de l'amour courtois est aussi celui de la magie et des passions : Béatrice, la prêtresse aveugle de Rian, son hibou blanc sur l'épaule, et Blaise, un mercenaire du nord venu se mettre au service de l'Arbonne afin de mieux contester l'autorité d'Adémar, pourront peut-être infléchir le cours de la guerre !La Provence des cathares ! Un festival et ses ménestrels, des rivaux historiques, et un mercenaire qui est plus que ce qu’il veut faire croire. Dépaysement garanti, avec une approche très réaliste : on débarque dans les bottes d’un outsider qui a déjà roulé sa botte, on le suit en mode fps comme témoin puis acteur de la trame principale, avec la trajectoire de quelques autres personnages forts pour nous divertir.