seleniel a écrit:
Une mort au présent, a priori certaine, ce n'est pas banal. C'est même exceptionnel dans la grammaire narrative de One Piece. Alors, il y a toujours la possibilité d'un "sauvetage"
Je suis méfiant. A force de vouloir nous prendre à revers, je finis par être sceptique même quand c'est évident. A voir s'il n'y a pas une solution magique, dans la mesure où l'on ne sait pas comment Komurasaki s'en est tirée. Aussi, c'est vrai qu'il a l'air de manquer quelque chose au personnage.
Mais d'un autre côté, sur ce dernier point, Yasu confirme bien son inscription dans la lignée de Kyros et Pound. Et peut-être est-ce du même coup à relativiser. On retrouve la même recette à l'origine de ces personnages : un père absent, oublié, en marge et pour qui il est impossible de maintenir la filiation ou le lien avec sa fille. L'absence ici prend de nouveau plusieurs formes. Il s'agit à la fois de l'éloignement, sa fille ayant été vendu et lui-même l'abandonnant une nouvelle fois en se sacrifiant, mais aussi peut-elle prendre la forme d'une absence sociale. Il n'a pas été le père qu'il aurait dû être, ne le sera pas. Il s'est vu jouer un rôle : aux statuts de daimyo et de père se sont substitués ceux de bouffon et de voleur bienfaiteur. On retrouve là le tragique de la légende de Kyros et de la répudiation de Pound. Ils ont été effacé et ont vécu bon gré mal gré en marge — expression qui prend ici un sens littéral : en dehors de la cité, dans un espace ayant pour vocation à devenir un no man's land ; sens doublé par le rôle du bouffon, de fait décalé.
On notera toutefois que le destin du personnage est différent des deux autres. A Kyros correspondait une résolution heureuse, lui-même malgré l'écart essayant malgré tout de rester dans son statut de père, aux côtés de Rebecca (jouant ce rôle à défaut de l'être). Pour Pound, c'était à l'inverse l'échec à entretenir ce statut. Il était d'ailleurs opposé à Kyros en tout point. Sa mort aura été symbolique en ce qu'il disparaissait presque anonymement (il n'y a que Petz, son petit-fils pour le pleurer et d'une certaine manière, le reconnaître). Ici, point d'anonymat ni de résolution heureuse. Yasu meurt au fait de tous, projecteurs sur lui, le pays entier le regardant. Finalement, lui est rendu son existence en dernier recours. Mais c'est là aussi où les parallèles diffèrent. Yasu dans une certaine mesure
a choisi d'être absent. Bien sûr le contexte le contraint (il fa dû faire profil bas à Ebisu) mais il a agi néanmoins en raison d'un idéal. Il abandonne sa fille pour subvenir aux besoins des plus pauvres, et une seconde fois pour venger Oden en donnant une chance à l'alliance. Le motif s'il est le même connait-là une variation qui donne une nouvelle dimension à cette figure tragique — dont on se demande bien sûr si ce n'est pas l'expression des craintes d'Oda envers ses propres enfants : est-ce que la relation d'un père pour sa fille peut-elle être sacrifiée au nom d'un idéal ? Pour moi, si "le personnage n'a pas eu le temps de vivre" c'est peut-être justement parce que ce qui nous est apparu jusqu'alors n'a jamais été qu'un rôle de figurant, répondant précisément à un rôle de façade. Je pense que Oda a peu développé ce personnage pour pour cette raison et que c'est par conséquent un choix assumé. Comme l'était le traitement de Pound, quasi inexistant du récit.
Pour continuer sur notre seigneur devenu bouffon (le contraire de ce qui attend Luffy ?), il y a un autre élément majeur qui diffère : Toko (re)connaît son existence. Ce qui n'était pas le cas de Rebecca pendant longtemps et du tout le cas pour Chiffon. Si Yasu est bien mort, ça va être intéressant de voir le traitement de Toko qui s'en souvient : cette fois-ci le père ne reviendra plus, l'absence d'origine se muant en absence éternelle. Ce qui renvoie dès lors à Hiyori.
Enfin, comme je le développe plus bas, il y a paradoxalement continuité entre cet épisode et le bon-vivant vu plus tôt. Le bouffon est un personnage multiple. Tantôt pitre, tantôt fin d'esprit. Sa nature est ambiguë et peut-on comprendre à ce titre la dualité du personnage, passant soudainement d'un rôle de figurant à un rôle de premier plan. C'est cohérent.
Skiourocs a écrit:
- Ensuite le manichéisme, qui atteint son paroxysme ici, couplé aux grosses ficelles dans la mise en scène. Alors on sait déjà One piece manichéen blablabla. Mais quand même : Yasu est le bien incarné, Orochi le mal incarné. Bon. Surtout : fuyons toute forme de complexité et réjouissons nous d'avoir des héros et antagonistes pour 5-8 ans.
Hum... oh quand même. Yasu ment plusieurs fois, abandonne de nouveau sa fille, cherche vengeance, essaye de manipuler les sujets du shogun pour saper son autorité et sa légitimité. Je le trouve tout aussi retors que Oroshi. Je ne suis pas d'accord, on a de la complexité.
D'ailleurs, on continue d'être servi côté politique. Pour faire le résumé de la manœuvre d'Oroshi (voir plus en détail
ici), son but était de faire un exemple en associant deux figures populaires et de les criminaliser via une diffusion à l'échelle du pays. Cela devait être suffisamment symbolique pour réaffirmer son autorité et porter un coup à la rébellion. Maintenant justement, on voit que ça n'a pas tellement fonctionné. Yasuie a pris le shogun à contre-pied afin de porter atteinte à cette même autorité qu'Oroshi tente de conserver. Pour cela il s'y est pris deux manières. Premièrement en se donnant à voir comme un bouffon, cherchant à faire son intéressant. Tout en pointant dans le même temps la réaction disproportionnée du shogun — et pourtant ce dernier est dans le vrai ! Secondement, l'ancien seigneur a mis en avant la politique à l'oeuvre depuis vingt ans, notamment dans son caractère expropriateur. Oroshi par son avidité aurait subtilisé aux habitants leur propre pays. Et par l'inventaire de paysages, il met en avant leur historicité : fruits de la protection des citoyens et de la famille Kozuki. En ce sens finalement où il souligne — et c'était là son but — le caractère illégitime d'Oroshi. Non seulement un lâche, un comploteur, mais aussi un destructeur ayant fait main basse sur le pays et ses ressources. Oroshi ne parvient pas à se hisser au niveau de ses prédécesseurs, notamment celui d'Oden, et il ne peut donc revendiquer l'héritage du titre. Yasu s'incarne une fois de plus dans son rôle de bouffon, non pour amuser mais pour remplir l'autre rôle lui incombant : "
celui de révélateur, de miroir grotesque". Et voilà chose faite ! Oroshi se voit humilié, pris comme cible d'une satire. Il est ridiculisé devant le pays tout entier. Pire encore, Yasu se moque de lui avec son distique. A travers cette phrase pleine d'esprit, c'est bien sûr à la malédiction de Toki dont il fait référence. Comme une sentence supplémentaire voué à troubler le repos du souverain : à la crainte de voir les Kozuki réapparaître, se double l'ombre de celui qu'il a jadis fait tomber et dans laquelle depuis il règne. N'est pas Oden qui veut ! Enfin, dernière action de Yasuie, il aura convenu d'un autre point de rassemblement pour la rébellion en devenir. Leur permettant de pouvoir rejoindre la bataille alors que ce dernier avait été éventé. C'est donc le plan d'invasion qu'il aura essayé de sauver. Avec succès ?
Les événements sont mal engagés alors que doit advenir encore l'enterrement de Komurasaki. Hoyori pourrait être découverte et on attend encore une intervention de Law pour sauver ses camarades. Pour le moment, Oroshi ressort affaibli de cette première séquence, son objectif ayant été contrecarré. Toutefois, notons que Yasu, un opposant au régime fidèle des Kozuki est mort. Une petite victoire pour le shogun tout de même.