Chapitre 12
- Mademoiselle, commença la servante, il est déjà plus que trop tard. Nous devons y aller.
Je tentai de résister mais, finis par la suivre. Sur le chemin, me retournant, je portai mon regard à la petite embarcation. Celle-ci venait d’être détachée du quai. J’eus alors un pincement au cœur. Puis peu de temps après, elle s’élança dans les eaux du port, protégées par la digue de pierre menant au phare-clocher. Le bateau nous rattrapa et bientôt, nous doubla. A son bord, je voyais les membres de l’équipage s’activer, sauf un en la personne de Petturi qui semblait plus occupé à s’étendre sur le pont qu’à participer à la manœuvre collective. Adaiho ne relâchant pas sa vigilance, le rappela à l’ordre d’un jet d’eau bien placé. Cela donna l’occasion au Plaisantin d’émettre une remarque, qui fit aussitôt rire la petite assemblée. Dont Fru.
Je souris.
Mais d’un sourire empreint de tristesse. Et bientôt, mon sourire se fit moins net, plus marqué par le rictus, jusqu’à devenir l’ombre de lui-même.
Bordant le quai et ce malgré des vêtements mouillés, j’avançais à vive allure à travers le flux des ouvriers restant pour ne pas me faire distancer. Le vent soufflait fort et poussait plus que nécessaire l’embarcation vers la sortie du port. A un moment, je la perdis des yeux car passant derrière le navire marchand, encore amarré. Je pressai le pas pour la retrouver de vue. Toutefois, j’arrivai à hauteur du navire de la Marine où m’attendait ma famille.
La première chose que je vis d’elle fut le regard de mon père. Il me fixait avec ce regard terrifiant, celui qui laisse entrevoir mille choses non dites. Et le silence des premiers instants fut plus insupportables que les réprimandes qui suivirent. Personne n’osa rompre le silence, pas même ma sœur.
- Tu es en retard, nota-t-il.
Je me sentis obligée de répondre.
- J’ai eu un contretemps.
- Quand bien même, tu n’as pas respecté l’horaire. Ou est Henrietta ?
Je regardai autour de moi, sans la trouver.
- Je ne sais pas. J’ai couru pour arriver ici. Elle était derrière…
Mon père se lissa la moustache en émettant un grognement, puis déclara :
- Nous en rediscuterons plus tard. Avant d’ajouter : En sa présence.
Voilà qui voulait tout dire. Etait-ce la volonté de cacher une correction pour garder les apparences ou était-ce pour mieux tirer l’affaire au clair par la suite ? Peut-être un peu des deux, sans doute…
A cet instant, j’aurai voulu continuer à poursuivre si ce n’était physiquement, au moins des yeux le petit navire pirate, avec Fru à son bord. J’avais besoin de savoir ! Mais malheureusement, à mon plus grand détriment, je me retrouvai coincée ici, retenue par les attentes que ma famille nourrissait pour moi. Ce fut alors que ma sœur me tira à part.
- Je l’avais prédit que tu serais en retard ! Tu es en encore allée t’attarder sur je ne sais quoi, oubliant par la même occasion l’heure. Et par l’heure, je veux dire l’heure de mon départ.
Elle marqua une pause, attendant une réaction de ma part. Mais de ma bouche ne sortit qu’un « désolée ». Cela sembla si bien la surprendre qu’elle déclara :
- Bon… l’essentiel c’est que tu sois là pour mon départ, hein ? Et puis ce serait bête de se disputer lors des aux revoir.
A cette dernière phrase je ne pus que repenser à mes derniers échanges avec Fru, dont la position du navire m’était maintenant inconnue. Etait-elle encore dans le port ? Etait-elle maintenant en mer ? L’un ou l’autre forcément. Mais lequel ? L’ignorance de sa position mêlée de ma peine et d’une certaine douleur me fit monter comme une boule dans la gorge. Et consécutivement, mon visage sembla s’affaisser et les larmes tombèrent. Ma sœur s’approcha alors de moi et me serra dans ses bras, pour me consoler.
- Ne pleure pas … Je reviendrai, me dit-elle doucement.
Mais ce n’était pas pour ça que je pleurai…
Pris dans ses bras, je n’eus toutefois pas le courage de lui dire de quoi il en retournait. Réellement.
Une ou deux minutes passèrent comme ça, sans que moi ou Jun ne prononcions mot et ce fut une voix grave qui finit par mettre fin à notre enlacement. Toutefois, ce n’était pas celle de mon père. Regardant par-dessus l’épaule de ma sœur, j’entrevue un homme.
- Alors, on place ses œufs dans le bon panier Maître Faongelle ?
Avec sa quarantaine d’années, ses petites lunettes rondes posées sur un nez tout aussi rond, cet homme à l‘allure de trapèze avec son grand manteau, semblait averti.
- Maître Tilipia, quel mauvais vent vous amène de si bonne heure dans le port au Parfum ?
- Les affaires … toujours les affaires. Elles sont à mon plus grand malheur parfois exigeantes. Vous pensez bien que sinon, je ne serai pas debout de si bon matin, ici.
- Le navire marchand ? Fit mon père en hochant de la tête en direction du ledit navire qui mouillait juste à côté.
- Non. Le navire pirate. Hier soir, on en a capturé un autre.
- Voilà qui est rare. Deux bateaux pirates tentant de s’introduire dans le port de la capitale, dans une période si courte !
- Oh pas si loin. Celui-là n’a même pas été fichu de passer le contrôle de la Marine.
- Des petites frappes ?
- Vu que c’est la Marine qui s’en est chargé toute seule, il faut le croire. Mais je m’en vais justement quérir plus d’informations.
- Vous êtes bien entreprenant. N’auriez-vous pas quelques vues sur ce bateau par hasard ?
- Non, bien sûr que non. Je ne fais que ce que tout bon maître marchand ferait. De la prise d’informations.
- Bien sûr, bien sûr … Mais notez tout de même que le point sera fait au Conseil comme à chaque fois. Votre démarche est de ce fait inutile.
- J’aime prendre l’information et tâter la situation par moi-même. Qu’y a-t-il de mal à cela ?
Mon père — ou plutôt serait-il plus juste en cette circonstance de l’appeler Maître Faongelle — sourit.
- Vous ai-je dit que cela était mal ?
Maître Tilipia paru un instant désarçonné. Toutefois il répondit :
- Non, évidement que non. C’est juste une expression. Mais j’ai à faire, voilà justement l’homme que je cherchai.
Je regardai dans la direction indiquée et aperçu un marine patientant mains dans le dos. Tout comme l’officier chargé de notifier les recrues, il portait sa veste sur les épaules avec marqué dessus « Justice ». Je ne vis pas son visage, mais je remarquais une tige coincée au-dessus de l’oreille. C’était une fleur de Samiolys.
- Veuillez m’excusez, dit Maître Tilipia en prenant congé.
Nous attendîmes par la suite jusqu’au départ du navire de la Marine. Le temps parut long, si bien que quelques hommes s’impatientaient. Pourquoi y avait-il à attendre si le navire était prêt pour partir ? Tel était le sentiment croissant et moi-même je commençais à trouver le temps long. Non pas que je souhaitais le départ de Jun mais parce qu’il me tardait de retrouver de vue le navire dans lequel se trouvait Fru. Autour de moi, l’animation du port allait en diminuant. Il y avait moins de monde. Le clapot des vagues contre le quai se faisait entendre et semblait rythmer la baisse croissante d’activité. Le vent lui en revanche, ne baissait pas en intensité et semblait garder son allure. A quel point avait-il pu pousser le petit bateau pirate ? Je me le demandais. L’équipage était-il loin maintenant ? Ou était-il encore à proximité du port ? Les questions se succédaient dans mon esprit et j’avais du mal à me concentrer sur mon environnement pour faire passer le temps. Je m’impatientais.
« Mais qu’est-ce qu’ils fichent ! » M’insurgeai-je intérieurement. « Ils ne vont quand même pas attendre le soir pour partir ! Si ? »
Mes pensées n’eurent cependant aucun impact sur les marines. Ils restaient plantés là à attendre. Inexorables.
Mais à attendre quoi au fait ? Si le bateau comme je le croyais était prêt, ce devait être un imprévu. Peut-être quelque chose d’inattendu qui retardait le départ… En regardant vers le vaisseau, je vis maître Tilipia continuer à s’entretenir avec le marine gradé. C’était lui qui retardait le départ ? A les voir de ma position, ils ne semblaient pas donner de signes prompt à retarder le départ de la caraque. Ils discutaient semblaient-ils sans se soucier d’autres choses. Tranquillement. Dans ce cas si ce n’était pas eux, qu’est-ce que cela pouvait bien être d’autres ? Les marines avaient en partie embarqué, quelques officiers restaient à quai, les ouvriers continuaient leur travail, les recrues étaient encore en attente …
Une seconde ! Les recrues étaient encore en train d’attendre ? Pourquoi n’embarquaient-ils pas comme bon nombre de marines ? Ils auraient déjà dû prendre leurs quartiers. Ou alors, devaient-ils monter en dernier ? Je me dirigeai vers Jun pour vérifier :
- Vous attendez encore quelqu’un ?
- Je ne sais pas, mais il semblerait oui. Le sergent Last nous a dit d’attendre.
En observant une fois encore les nouveaux venus, je réalisai soudain quelque chose : il manquait la deuxième fille ! Celle dont j’avais vu le nom tout à l’heure sur la feuille de présence : Rosa Ladrona. Il devait certainement s’agir d’elle ! Mais, ferait-on attendre tout un vaisseau pour une simple recrue ? C’était quand même bizarre… Et certainement assez pour faire paraître cette hypothèse dérisoire.
Soudain, la décision tant attendue fut enfin donnée. Les marines et recrues à quai montèrent à bord du navire. Et la caraque appareilla. Enfin !
Les aux revoir qui suivirent furent respectés dans la plus pure tradition et nous restâmes mes parents et moi comme tant d’autres familles à regarder, mouchoir à la main, le navire quitter le port. Jun était sur le bord en train de nous saluer. Et tandis que nous suivions l’avancée du navire de la Marine, quelque chose attira spécifiquement mon regard.
Par de-là le navire,
par de-là le phare-clocher,
par de-là la mer…
Située au loin sur l’océan doré et naviguant dans le silence de l’aurore, se trouvait une petite ombre s’élevant doucement vers l’horizon.
A ce moment-là, je sus que c’était Elle.
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Fin du premier arc de cette fan-fiction.
Je vous remercie d'avoir lu et d'avoir suivi cette histoire jusque-là. D'ailleurs, si vous avez envie de laisser un commentaire, allez-y ! Une fin d'arc ça se fête !
Encore merci et rendez-vous pour le second arc.