J'aurais mis du temps à répondre à vos observations mais c'est parce que je voulais le faire tout en vous proposant une nouvelle histoire. ^^
Tout d'abord, je ne m'attendais pas à te voir ici, Donnie Darko ; ce fut une agréable surprise. Merci pour ton commentaire.
Lane ne vient pas de
Smalville, et si on veut absolument lui donner une origine, il faudrait plus se pencher du côté de Salinger.
Sinon, par choix, je ne pouvais pas mettre la phrase censurée ; tout simplement parce que le propos ne se tenait pas là. Au fond, on s'en moque éperdument de savoir quelle phrase avait bien pu être supprimée. ^^
Par rapport à CelesT, le néologisme "antimélodie" est tout simple dans ce que j'ai voulu signifier. Et comme je n'ai pas envie de tout dire, je me contenterai de préciser que c'est dans la censure qu'il faut y chercher un sens, s'il y a bien un sens (parce que ça, c'est pas dit ! ^^)
Yoestar, ton commentaire de texte est énorme ! oO
Et je dois dire que tu n'es pas loin de la vérité, même s'il y a bien deux ou trois trucs qui sont déphasées comparées à ce que j'ai voulu dire. Mais après tout, c'est aussi ça le charme du truc. ^^
CelesT a écrit:
Je suis curieuse de voir ce que tu pourrais nous écrire d'autre...
Eh bien, en voici un exemple. Très légèrement plus long que la première nouvelle. ^^
eDeal (ou les ombres passagères)
C’est en tournant à la cinquième rue de l’avenue principale que je me rendis compte que j’étais suivie. Et ce n’était pas la première fois. Souvent, j’en ai eu la certitude, des ombres se tapissaient derrière moi, et se promenaient à mes côtés, guettant un moment de faiblesse pour m’assaillir. Je ressentais une certaine retenue cependant, comme si mes agresseurs avaient peur que je me persuade de leur existence en se montrant directement à moi. Je me suis alors pendant fort longtemps demandé pourquoi ils agissaient de la sorte ; et j’en suis intimement venue à l’idée qu’ils attendaient de moi que je commette un faux-pas, une imprudence pour me saisir sur le fait, j’en avais la sensation, une foi quasi obsessionnelle.
Il me restait encore deux ou trois choses à acheter avant de rentrer chez moi. J’étais, en ce jour, pressée de rentrer chez moi ; il m’était venu une idée pour me débarrasser définitivement de mes espions. Je pressai donc le mouvement. Et comme je tournai une rue plus loin, je vis adossé contre le mur un homme vieux et fripé, un mendiant serti d’une pancarte sur lequel était écrit : « J’ai faim. » Je pensai que moi aussi. Prise de compassion, je m’agenouillai devant le monsieur à l’air déprimé et lui dis que j’allais lui donner une ou deux pièces afin qu’il puisse calmer sa faim. Il ne daigna même pas lever la tête, il devait être bien faible. Mon cœur chavira. Jamais une si profonde empathie ne m’avait ainsi traversée. Les larmes aux yeux, je lui adressai un billet de dix euro ; mais le vent s’engouffrant au même instant, le billet s’envola et alla s’écraser contre un poteau, à quelques mètres de là. Gênée, je m’empressai de lui dire combien j’étais navrée ; mais il me répondit avec ferveur et reconnaissance : « Merci, mille merci. J’existe, merci. Je vais ramasser le billet. »
Ces trois phrases me transpercèrent. J’étais ailleurs. Ma félicité était démesurée, je n’avais jamais éprouvé de joie plus grande, et je me maudissais d’un tel sentiment parce que donner pour, en retour, recevoir une pareille joie, c’est, d’après moi, criminel. Confuse et honteuse, je fermai mon esprit à tout bonheur, je continuai mon chemin. Les ombres s’agitèrent encore, je n’y fis pas attention, j’avais appris à vivre avec elles, mais, je le savais aveuglément, je serais sûrement mieux sans elles. Je ne comprenais de toute façon pas pourquoi elles avaient le besoin immatériel de m’épier. Etait-ce un jeu ou une mission ? Par méchanceté ou par perversité, pourquoi étais-je dans leurs plans ? Je m’étais déjà soumise à plus d’une séance de torture dans l’espoir de répondre à ces interrogations. Mon âme ne s’était plus sentie en paix depuis qu’on me suivait.
Il y avait bien Martin ; lui, avait toujours été d’un caractère exécrable. Je suis certaine qu’il aurait pu me vouloir du mal. Martin était fermé sur lui-même, il ne communiquait jamais avec mes amis, il disait les trouver ennuyeux. Peut-être n’avait-il pas tort au fond, mais mes amis, je ne les voyais plus, je ne sus jamais pourquoi ; avais-je été mal à propos ? Luc était sardonique et mesquin, il prétendait avoir une aversion pour la vie depuis sa lecture tronquée de Chateaubriand. Luc était influençable, incapable de réfléchir par lui-même. Un pareil homme aurait-il été en mesure de décider de me nuire ? Ma conviction me dictait que non, et j’avais pleine confiance en ma conviction. Alors à supposer qu’un de mes proches m’ait cherché malheur, qui cela pouvait-il être ?
Je fus détournée de mon dialogue intérieur par un événement parasite. Tandis que j’arrivai à hauteur de la librairie, lieu de mon escale, un homme, un masque sur le visage, sortit tout à trac de la banque d’en face, grimpa dans une voiture qui passait là par hasard et s’en fut, cahin-caha. A ma surprise générale, nul n’avait bougé, abasourdi sans doute. Mais ici continuait la vie, et le temps, capricieux, se moquait bien du reste. Moi-même, je fis abstraction de ce fait divers ; mon dieu, me dis-je, quel spectacle ! J’en fus émerveillée. Je marchai le long des grands rayons, à la recherche du livre de mes convoitises, ce livre que j’avais projeté de lire voilà des siècles et que faute de… d’intérêt, je n’avais jamais lu. Une fois mon achat effectué, je sortis et repris l’avenue principale. Que le ciel était beau, d’un bleu si parfait ! Mais derrière, des nuages se levaient, je le sentais, je le présumais. J’étais seulement là.
Je pus enfin rentrer chez moi. Ce moment, je l’avais rêvé, et à ce moment, j’y étais. Je posai mes courses, nonchalante, dans un coin de ma cuisine et pénétrai dans le séjour. Sophie avait encore laissé traîner mille sottises sur le canapé et ailleurs, incorrigible Sophie ! Elle, je n’ai jamais su comment lui faire comprendre. Elle demeurait là, statique, s’évaporant à la volée, presque sur demande, je ne lui réclamais pas de loyer, je ne lui sollicitais nulle faveur ; oh, qu’elle était encombrante ! Et pourtant, je l’aimais ! Et pourtant, je l’aimais !
Je me rappelai avoir faim. Etait-ce un caprice ou un besoin ? Je me fis un sandwich, avec précaution, je me versai un petit verre de jus de raisin ; le jus de raisin est bon pour la santé à ce qu’on m’avait dit. Ainsi parée, je pouvais mettre en branle mon dessein. Je me dirigeai avec délectation vers mon ordinateur, je l’allumai. Je bus une gorgée du jus de raisin pendant que la machine se lançait. Je pris une bouchée du sandwich pendant qu’elle se connectait à internet. Internet, quelle invention ! Je visitai promptement quelques sites, je savais ce que je voulais, et personne n’aurait pu me détourner de mon but, pas même Sophie. Dieu sait pourtant que la voix de Sophie me portait, résonnait dans ma tête, que chacune de ses suggestions se répétait infailliblement tel un leitmotiv. C’était une obsession, et à tout avouer, Sophie me hantait comme jamais quiconque ne m’avait hanté.
Et enfin, je le vis, là, l’objet de mes désirs, ce que je voulais. Avec avidité je me jetai dessus, je parcourus les règles, je lisais avec passion ; et avec passion, j’acceptai tous les sacrifices. Le dialogue s’installa, je lui expliquai ma requête, je lui expliquai que j’étais suivie, que probablement on me voulait du mal. Instantanément il comprit, j’en fus bouleversée. Il me dit : « Sais-tu ce que cela implique ? » Je répondis : « Oui. » Le contrat sera exécuté lundi prochain à la première heure, m’avait-il soufflé. Je fus enveloppée d’une extase inouïe, je savais tout des conséquences, mais je n’en voyais que les bons côtés, je ne songeais pas du tout aux désastres que cette décision allait m’apporter, et je m’en moquais : seul comptait ma tranquillité.
Quel paradoxe ! J’en ai encore le vertige, à y réfléchir, j’en suis encore confondue. Un jour de pluie, je me promenais dans un jardin aux couleurs singulières, un monsieur donnait à manger aux oiseaux, des gens discutaient sur un banc, un enfant marchait un ballon gonflé à l’hélium à la main, partout la quiétude semblait de mise. Les fleurs envoyaient une odeur exquise, un parfum d’une senteur admirable, les papillons dansaient dans le ciel, et cette parade se prolongeait à n’en plus finir. C’était un jour de pluie. Des amis que je rencontrai par hasard me posèrent, au détour d’une conversation, une question étrange : « Aimes-tu la campagne ? » C’était troublant. En premier lieu, je n’ai jamais aimé la campagne, j’ai toujours préféré la compagnie, et ils le savaient bien. Qu’ils me posent une question si évidente, si tautologique, je n’en revenais pas. Aujourd’hui, un début de réponse s’est formé, mais rien n’est encore acquis.
Le lendemain, je me levai à la même heure qu’à l’accoutumé, je me brossai les dents, pris une douche glacée, me coiffai. Ce samedi, Sophie n’était pas là. Je lus machinalement une petite heure, je lus ce livre que je m’étais acheté la veille ; je trouvai cela somptueux, un chef-d’œuvre, c’était bien ce que c’était. M’étirant, je vis l’heure tourner, je fus prise de panique : j’allais être en retard. Je sortis de chez moi, je fermai la porte, je saluai mon voisin de palier. Bruno était fort sympathique, toujours aimable et serviable. Il portait sans cesse cette expression décontractée sur son visage, un beau visage, hypocrite, charmeur ; mais je devinais que sous ce masque de gentillesse se cachait un homme impavide. Bruno était discret, personne ne le voyait vraiment, il entrait et sortait de l’immeuble, il menait sa vie et ne dérangeait personne ; aux yeux de tous, Bruno était un être tout à fait correct.
Aussitôt dans l’avenue principale, je sentis des regards fondre sur moi. Je serrai les dents, me forçai à ne plus y penser, lundi tout serait terminé. Lundi, ces ombres seraient mortes, exécutées de plein droit par un contrat irrévocable. A cette réflexion, mon esprit glissait sur des sentiers impalpables, des sentiers emplis d’un bonheur complet : libre ! Plus je pensais à ce futur si proche, plus j’étais perdue de reconnaissance pour mon bienfaiteur. Peu à peu, un sentiment nouveau s’installa en moi, une passion dévorante, obsédante, une passion qui reléguait même Sophie au second plan. Mon élan fut brisé comme j’arrivai devant le café où l’on m’avait donné rendez-vous.
Je regardai ma montre, j’avais cinq minutes d’avance. Cependant Lisa était déjà assise à la table du fond, notre table habituelle, alors j’entrai. Elle me fit signe de la main, j’avançai. Je savais que Lisa prenait toujours la même chose que moi, je commandai donc pour toutes les deux, le serveur eut un geste bizarre, un geste d’étonnement infime. Il revint vite avec un plateau sur lequel étaient posés deux jus d’ananas. Je poussai l’un des deux verres en direction de Lisa. Le silence régnait souvent lorsque nous nous voyions, c’était un rituel. Je laissai couler les discussions des consommateurs avoisinants, j’écoutai leurs promesses, leurs anecdotes, leurs joies, leurs peines. Et soudain, je m’écriai : « Lundi, tout sera terminé ! » Lisa haussa les épaules, l’air triste. Elle me demanda : « Sophie n’est toujours pas rentrée ? » Elle ne rentrera sans doute pas avant lundi, lui répondis-je.
La journée se passa sans surprise, rien que la routine, sombre routine ! Les ombres m’observaient à chaque coin de rue, me narguaient avec malice. Je savais qu’elles n’avaient plus longtemps à vivre, j’étais gênée néanmoins par un fait qu’on ne pouvait négliger. Qui étaient ces ombres ? Pour retrouver le silence, une infinie liberté, j’étais prête à tout, encore que cet inconnu rendait l’équation compliquée. Mais j’avais pour principe qu’à équation compliquée, il ne fallait pas tenter de la résoudre. Dans l’ignorance, du moins on peut feindre l’innocence. Et ainsi, je me délestais de toute responsabilité ; et ce tracas, je le réprimai dès lors tout au fond de moi, caché, invisible. J’étais sereine, et bientôt, je le serais d’autant plus. A cette heure, j’en avais la conviction.
« Tout est en place. Le contrat sera exécuté dans les temps. » Quand je trouvai ce message, un frisson parcourut mon échine, un intense plaisir me traversa de part en part. J’éprouvai pour cet homme, mystérieux, indomptable, un sentiment inextricable, une admiration sans bornes. J’écrivis aussi vite que je le pus : « Je compte sur vous. » Et alors que je m’apprêtais à quitter la salle : « Il ne tiendra qu’à vous. » Immédiatement je compris tout, j’en fus anéantie. Et c’est morose que j’allai me coucher.
La sonnerie de mon réveil brisa tous mes rêves. Le soleil dardait ses premiers rayons contre ma fenêtre, je m’éveillai. Je sautai de mon lit, encore sous le poids de la révélation, en proie à une mélancolie intense. J’étais étourdie, je marchais mais je n’étais plus présente, j’étais ailleurs. Je fis du mieux que je le pouvais pour camoufler mon état – hélas, à qui ? Sophie n’était plus là. Après ma toilette, je sentis le besoin d’aller me promener. Je sortis de chez moi, aujourd’hui Bruno ne se montra pas. Je descendis les escaliers avec componction, je fus enfin dans la rue, puis dans l’avenue principale. Les ombres ne tardèrent pas à entrer dans la danse ; mais je n’en avais plus à m’en préoccuper désormais, et c’est l’esprit léger que je m’en fus.
Tous les magasins étaient naturellement fermés. Lorsque je levai la tête pour apprécier le ciel, il avait perdu de sa superbe, ce bleu parfait n’était plus. Je pris mon téléphone et composai le numéro. Quand il décrocha, il sut tout de suite ce que je voulais ; en pouvait-il être autrement ? Pour quelle autre raison pouvait-on appeler Richard ? A ma connaissance, je n’en voyais aucune. Heureusement, il me dit que je pouvais passer dans l’heure, je n’aurais pas à tuer le temps. Je traversai l’avenue principale et tournai à la sixième rue, je continuai. Dans une ruelle lugubre, où même en cette matinée, les ténèbres l’enveloppaient déjà, je m’arrêtai au 333. Richard m’ouvrit, me tendit un paquet protégé par une petite couverture cramoisie. Je lui tendis une liasse de billets. Echange de regards, nous nous faisions confiance. Il referma la porte.
Le dernier message de mon exécutant fut : « C’est au jardin Voltaire que j’attendrai mon dû. Lundi, 9h. » Je ne répondis pas. Je savais maintenant tout ce que cela signifiait, pour ainsi dire j’avais accepté la sentence, je n’en avais plus cure. J’étais déjà perdue, et je passai outre. Je me préparai un thé, je m’installai dans mon canapé, je pris le livre jamais lu, je le lus ; de cette manière, je le lus jusqu'à son terme. Et jusqu’à son terme, je fus saisie d’un épouvantable malaise. C’était merveilleux, ce malaise, ce livre, tout était merveilleux ; je me couchai, et dormis jusqu’au matin.
C’était un jour de Lune, un jour rêvé. Les nuages protégeaient le ciel comme une couverture, les rayons absinthes chantaient. Jardin Voltaire, ma destination ! Ce jour-là, je pris un petit-déjeuner, c’était une des rares fois où je mangeai à l’aube du jour. J’étais satisfaite, je m’habillai tout en noir. L’œuvre était déjà faite, à cette heure, elle devait déjà l’être. Je poussai la porte de mon appartement, pendant une seconde je crus apercevoir Sophie, mais son ombre s’évanouit aussitôt. Etait-ce une hallucination ou un fantasme ? Je descendis dans la rue, magnifique rue ! Je passai rapidement devant ces chantiers en ruine, devant ces gens chagrins. Je me jetai dans les transports en commun, je regardai ma montre : 8h45. Tic tac, le son inexorable m’envahit.
Dans ce jardin aux milles prodiges, je me tenais. Neuf heures sonnèrent, au loin la cloche annonçait neuf heures. J’étais apaisée, tout autour de moi, une incroyable mélodie. Je passai la main dans mon sac, en sortis le paquet à la couverture cramoisie, le défis. Un petit révolver se déroba. Je le saisis avec fermeté, le dirigeai contre ma tempe, et pressai la détente. Je pressai la détente et alors j’en fus convaincue, j’étais seulement là.
FIN