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 Sujet du message: Me and the devil Blues
MessagePosté: Sam 2 Mai 2009 15:04 
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« Lorsque Adam et Eve ont été chassés du paradis, je suis né. En compagnie de leurs enfants abandonnés… je me suis installé sur ce nouveau continent. Sur cette, c’est leur douleur qui m’a élevé. Parfois, je les réconfortais, à d’autres moments, je les faisais s’effondrer. Un soir, un homme que je rencontrai à la gare me donna un nom. Dès lors, mon nom se répandit très vite… et je me fis de nombreux amis. Un soir, sur la route, j’ai rencontré un homme. On s’est tout de suite bien entendus. Mon nom ? Blues. Et ce soir, je vais encore aller le retrouver, lui, mon grand ami. »

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Dans ce manga d’Akira Hiramoto, qui paraît depuis 2004 au Japon, et depuis la fin de l’année dernière en France, est racontée la vie du bluesman Robert Johnson, de manière plutôt libre. Ce bluesman légendaire vécut de 1911 à 1938 dans le Delta Blues du Mississippi, région désormais connue pour être le berceau du Blues moderne. Robert Johnson restera dans l’Histoire pour avoir enregistré très peu de morceaux, et pour une légende qui courrait autour de son cas : pour devenir un génie du Blues, il aurait vendu son âme au diable.


~Synopsis~

A la fin des années vingt, aux Etats-Unis, dans la région du delta du Mississippi, la plupart des noirs travaillent dans des fermes tenues par des blancs et sont considérés comme de la simple main-d’œuvre. RJ, jeune homme de ferme ordinaire, rêve de devenir un bluesman, mais ne sait pas jouer suffisamment bien de la guitare. Alors qu’il s’était perdu à un carrefour en pleine nuit, avec une guitare trouvée, il va apprendre à en jouer. Et quand il se montre ensuite devant Son House, bluesman qui s’était moqué auparavant de lui pour son mauvais jeu de guitare, ce dernier ne peut que se rendre à l’évidence : RJ l’a dépassé. C’est alors que RJ se rend compte qu’il ne s’est pas absenté de sa maison le temps de deux ou trois jours, comme il le pensait, mais pendant près de six mois. Entre temps, sa femme est décédée avec leur enfant. Commence alors l’errance du nouveau bluesman, qui a vendu son âme au diable pour devenir un génie du Blues.


~Personnages principaux~

Robert Johnson
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Surnommé RJ dans le manga, il n’est au début qu’un simple travailleur dans une plantation du Mississippi. Il se rend les samedis soirs au juke-joint, sorte de bar mal-famé, pour écouter du blues et boire de l’alcool, tant que sa femme Virginia l’accepte. Après la mort de cette dernière et s’être découvert un talent à la guitare, il va errer en compagnie d’Ike à travers la région. Peureux, RJ se montre comme un personnage le plus souvent passif, ne comprenant pas ce qui lui arrive, et qui n’est du fait que rarement maître de son destin, dès lors qu’il aura joué de la guitare à un carrefour désert, en pleine nuit.

Clyde Barrow
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Clyde, le grand voleur des années 30, va rencontrer RJ dans une rue où celui-ci jouait devant une petite foule. Les deux acolytes ne se quitteront pas de sitôt, puisque Clyde le force à le suivre. Il apparaît comme un grand menteur, se baladant régulièrement avec des armes, un roublard amateur de cola, et entraîne RJ dans ses affaires peu claires.

Stanley O. MacDonald
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Monsieur MacDonald est un homme puissant d’une ville où l’alcool est interdit depuis la prohibition, et où la consommation de celui-ci est synonyme de peine de mort. Vieillard machiavélique et effrayant aux traits rigides et rugueux, Macdonald est aveugle alors que, paradoxalement, ses yeux semblent être les seuls organes vivants du personnage. Il a l’air d’être passionné les poupées, et s’entoure souvent de jeunes enfants, qui lui servent d’yeux.

Ike
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Ike est le bluesman qui accompagnera RJ avant que ce dernier ne rencontre Clyde. Il fait des apparitions régulières par la suite, sans jamais montrer son visage. En tant que mentor de RJ, il symbolise le diable qui l’accompagne, le conseille, et qui disparaît à la vue des autres.


~Ambiance et graphisme~

Ce qui vous choquera en premier lieu en ouvrant un tome de cette série sera sûrement le graphisme. Akira Hiramoto est un auteur n’ayant que quelques séries à son actif, mais sa manière de dessiner est déjà bien marquée, notamment par la bande-dessinée noire européen qui se place en influence évidente. Le talent est indéniable, et ce manga se place sans conteste parmi les plus beaux existants à ce jour.

Les dessins du manga sont noirs, très noirs. Le trait varie néanmoins selon les planches : alors que certaines seront lisses, sans détails, et aux traits fins, d’autres planches présenteront énormément de hachures, des visages et des personnes déformées, démembrées. Les barreaux de prison se tordent, les visages deviennent dingues, les expressions effrayantes. Le mélange de dessins plutôt classiques et de cases profondément originales et incroyables, servies par le dessin noir d’Akira Hiramoto, sert le récit comme un graphisme a rarement pu le faire : l’imaginaire et l’illusion côtoient la normalité. Une ambiance s’en dégage irrémédiablement, le lecteur est importé dans un récit réel, dans lequel s’immisce le fantastique.

Les planches du mangaka se caractérisent aussi par une disposition recherchée, et par un jeu sur les symboles. En effet, il n’est pas rare que certaines cases se superposent, créant des jeux d’ombre et de lumière, et permettant l’association d’idées dans l’esprit du lecteur. Cet effet est utilisé habituellement pour présenter des personnages de plein pied. Or ici, ce sont des mains, des objets, des détails, qui sont représentés de la sorte. La case semble alors se démultiplier, et se dessiner sur plusieurs plans. Quant aux symboles, certains sont récurrents et permettent une lecture plus profonde et complexe qu’à priori : alors que RJ est enfermé en prison, et que Clyde mange en compagnie de Monsieur MacDonald, les balustrades, les fenêtres du décor, les dents de la fourchette et du puissant homme, semblent se transformer en barreaux retenant RJ. De plus, de très nombreuses mises en abîme permettent de dynamiser le récit par le biais de miroirs, de rétroviseurs, de reflets. Il est assez dur de vous expliquer tout ce que le graphisme apporte au récit sans exemple concret à l’appui. Mais je vous donne ce lien, qui présente quelques études de planches très intéressantes et intelligentes.

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« The dogs of doom are howling more ! », comme pourrait le chanter Robert Plant…

La profondeur psychologique des personnages qui sont mis en scène, tous ces jeux de disposition, cette noirceur présente de bout en bout de chaque chapitre, permettent de donner au manga une ambiance sordide, extrêmement dure et profondément dérangeante pour le lecteur. Pour ainsi dire : la folie guette, on sent que le diable, thème récurrent dans la vie de RJ, peut se présenter à chaque page. Et durant les entrevues de RJ et Clyde, ou de Clyde et MacDonald, le lecteur est pris dans cette ambiance, est mis sous tension, et s’intègre dans le contexte à la place d’un des personnages de manière aisée. L’ensemble présente un certain diaporama des horreurs humaines, avec tout autant de virtuosité que si cela se plaçait dans un contexte entièrement inventé. En un mot, comme en cent : excellent.


~Entre réalité et fiction~

La question que vous pourrez vous poser à la lecture du manga qui est ici présenté, c’est celle de la limite entre la réalité et la fiction. Robert Johnson est, en effet, un artiste qui a réellement vécu pendant les années 20 et 30 aux Etats-Unis, et dont vous pouvez en savoir un peu plus ici-même. Akira Hiramoto, en amateur de blues, sait à quel point la vie de Johnson est floue et imprécise. C’est pourquoi, en introduisant des éléments fantastiques et échappant parfois à la vérité historique, il ne fait pas de mécontents.

La légende de Robert Johnson veut que celui-ci ait vendu son âme au diable. Dans ce manga, RJ a véritablement vendu son âme au diable, et s’en découlent plusieurs faits marquants : une de ses mains est maintenant composée de dix doigts, et il est accompagné d’une personnification du diable, en la personne d’Ike. Or, Ike fait clairement référence à Ike Zinnerman, bluesman de génie qui servit de mentor à Robert Johnson, durant son apprentissage de la guitare. La référence est évidente, et l’association que l’auteur fait entre le diable et ce bluesman sert grandement au récit, permettant de mettre à la fois en scène l’apprentissage de la guitare de RJ, et à la fois la mise en place d’une relation presque concrète avec le diable.

A d’autres niveaux, plus globaux ceux-ci, Hiramoto prend le parti de mélanger habilement la fiction et la réalité. C’est le cas sur le plan politique, où la ségrégation et la prohibition interviennent dans le déroulement du scénario. Le personnage de MacDonald, créé pour l’occasion –quoi qu’une référence n’est pas à exclure, ce qui rendrait le manga encore meilleur-, se base sur ces deux faits avérés pour se construire en homme horrible, à la fois droit et aux penchants secrets peu orthodoxes.

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Soirée au juke-joint.

De la même façon, le personnage de Clyde Barrow, qui aurait pu concrètement rencontrer Robert Johnson, les deux ayant vécu à la même époque, apporte un élan au scénario. La mort de Bonnie Parker et de Clyde est sous-entendue à la fin du premier tome, dans une rapide prolepse : cela se passe quatre ans après la rencontre entre RJ et Clyde, en 1934, et RJ semblerait impliqué dans la mort de ces deux malfaiteurs. Hiramoto invente le parcours du gangster le temps de sa rencontre avec le musicien : le couple formé désormais par Clyde et RJ détonne, et est une trouvaille incroyable, car associant deux personnages totalement opposés, l’un timide, droit et noir, l’autre roué, rusé et blanc. En sachant ce qui va arriver par la suite, la nouvelle association fait office de bombe à retardement, qui pourtant se maintiendra pendant quatre ans. De nombreuses questions sont possibles sur cette entraide qui, clairement, apporte une dynamique : RJ va trahir Clyde, on sent dès le début qu’il ne l’apprécie pas. Mais quand ? Pour autant, Bonnie n’est pas oubliée, car Clyde y fait référence à plusieurs reprises : cette fin violente des deux voleurs plane sur le manga, comme une ombre tragique menaçante. Bonnie aura un rôle très important à jouer, et on ne peut qu’attendre avec impatience son apparition.

Ce jeu de mélange entre vérité et fiction se place sur tous les plans du récit : la rencontre avec Son House, les aventures amoureuses de RJ, les chiens de chasse… Un panel varié d’actions et de rebondissements s’offrent au mangaka, qu’il s’amuse d’ailleurs à illustrer sous différents rythmes : alors que certains passages semblent ralenti, faisant plus appel au ressenti, d’autres sont éclipsés, comme pour préciser que leur importance n’est pas capitale. Tout est plus moins susceptible de contenir des mensonges, mais en lecteur passionné et happé par le récit, on ne peut qu’admirer ce brillant travail et mélange des possibilités, dans une biographie qui n’est définitivement pas conventionnelle.


~Pour finir…~

Clairement, Me and the devil Blues se place au-dessus de la production actuelle. L’édition magnifique de Kana, sertie de couvertures sublimes et de tranches colorées, met en valeur une œuvre loin des codes des mangas actuels, incroyable, inédite, et qui s’impose comme une révélation. Je ne vous lancerai pas vingt superlatifs que ce manga mériterait, mais en peu de tomes, le lecteur ne peut qu'apprécier toute l'originalité du récit, et les personnages développés psychologiquement.

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Les quatre premiers tomes de la série, dont les titres correspondent à des titres de chansons de Robert Johnson.

Quand un auteur arrive à ce point à créer un manga au ton unique, à mélanger fantastique et réalisme, vérité et mensonges, dessins classiques et innovateurs, tout en illustrant des personnages au background exceptionnel, cela porte un nom : un chef d’œuvre.

_________________
« No gods or kings. Only man. »


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